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26 juin 2015 5 26 /06 /juin /2015 08:33
Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, le Fonds monétaire international sonne l’alarme. Son propos, sur la retenue comme d’ordinaire, n’est pas aussi explicite que le nôtre. LE BILAN ajoute, aux aspects conjoncturels relevés par le FMI, une analyse structurelle du système financier.

 

Sources :  LE BILAN par Benoit Delrue le 02-06-2015 mis à jour le 15 decembre 2017

C’est un événement planétaire. Le Fonds monétaire international (FMI), organisme basé à Washington né des accords de Bretton Woods en 1944, qui a largement contribué à bâtir le système financier actuel, tire la sonnette d’alarme. Généralement rassurante, l’institution sort de ses habitudes pour mettre le doigt sur ce qui « accentue les tensions » dans l’économie mondiale. Bien sûr, le discours tenu par le FMI reste sobre et évite soigneusement les formules catégoriques et trop explicites. Néanmoins, après avoir déjà consacré son avant-dernier[1] rapport régulier – biannuel ou trimestriel – sur la stabilité financière aux « risques » encourus par les acteurs publics et privés de la finance internationale, l’édition d’avril 2015 du document franchit une marche supplémentaire[2].

 

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

La prochaine crise est inévitable. Pour le prouver, nous nous intéresserons de près aux signaux négatifs dont le FMI fait état, reposant comme à l’accoutumée sur une étude empirique des conjonctures. Dans un second temps, nous lierons à ces facteurs circonstanciels un examen structurel du système financier contemporain. Ce dernier, par une analyse plus profonde, sera révélé pour ce qu’il est – un géant aux pieds d’argile, sans cesse grandissant pour nourrir en milliards la caste des ultra-riches.

 

 

- Le printemps des crises

Le FMI fait état d’une conjoncture qui, mois après mois, « intensifie les risques » de survenue d’une nouvelle crise financière. Certains éléments, salués en France par les dirigeants politiques et les économistes de cabinet comme très favorables pour l’économie nationale, sont profondément déstabilisateurs pour le système international. Autrement dit, les causes d’une croissance française « élevée », à 0,6% au premier trimestre selon les estimations bienveillantes de l’Insee, mettent en danger des acteurs économiques de premier rang – donc l’équilibre financier planétaire.

 

 

- Taux d'intérêt records en France et en Allemagnerises

Le 1er juin 2015, les taux d’intérêt auquel la France emprunte sur les marchés ont atteint un nouveau record[3]. A dix ans, les obligations ont atteint le seuil de 0,8080% ; pour les maturités les plus courtes, les taux sont même négatifs depuis des mois, et ont même franchi, ce jour, la barre du -1% pour les échéances de trois ans. Une bonne nouvelle, à priori : enfin, l’Etat semble sortir des milliards d’euros d’intérêts réglés chaque année à ses créanciers. Sur LE BILAN, nous avons d’ailleurs insisté sur l'arnaque géante que représente la dette publique pour les travailleurs français. Mais du point de vue de l’équilibre des marchés, c’est une toute autre histoire.

 

En réalité, la ruée vers les dettes allemandes et françaises met à mal la rentabilité du secteur de l’assurance. L’outre-Rhin emprunte également à des taux très bas, pour une raison simple : comme les obligations françaises, les allemandes représentent le risque le plus faible du marché. Les compagnies d’assurance misent des quantités astronomiques de capitaux, souvent dans des placements périlleux. La probabilité de voir s’effondrer ces investissements, lucratifs mais dangereux, oblige les entreprises à placer certains œufs dans des paniers plus sûrs. Les emprunts des Etats ont toujours représenté une solidité, une garantie de remboursement quoiqu’il advienne. Mais dans la zone euro, certains pays ont inspiré davantage de craintes que de confiance : la Grèce, l’Italie, le Portugal ont subi, ces dernières années, des phénomènes de désinvestissement massif en raison des inquiétudes de restructuration de leurs dettes publiques ; et par le jeu du marché, leurs taux se sont alors relevé subitement, entraînant parfois de graves conséquences.

 

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

A contrario, face à l’instabilité des Etats du sud, les premières puissances de l’Union européenne ont incarné dans l’esprit des financiers une certaine intangibilité. Les dettes françaises et allemandes, malgré la santé relativement mauvaise de l’économie hexagonale, sont devenues les valeurs-refuge par excellence. Mais y investir a représenté un coût toujours plus important : désormais, ce sont les créanciers qui payent ces gros Etats pour pouvoir placer leurs capitaux entre leurs mains, d’où les taux négatifs. La loi du marché, théâtre d’un rapport de force permanent entre l’offre et la demande donne parfois des situations comme celles-ci ; et plus les investisseurs sont nombreux à acquérir des obligations françaises et allemandes, plus les taux d’intérêt continueront à baisser.

 

L’observateur non-averti pourrait croire que chacun trouve son compte dans ce mécanisme. Il sous-estimerait lourdement les pratiques hasardeuses, voire fâcheuses, des compagnies concernées. Axa, Predica, et Allianz vendent des contrats d’assurance en garantissant des taux de rémunération supérieurs ; elles promettent un rendement élevé aux particuliers, qui contractent des assurances-vie, des retraites par capitalisation ou placent leur épargne sur des investissements présentés comme profitables. Mais les difficultés du marché à restaurer la confiance, et les taux toujours plus bas des placements obligataires, creusent toujours plus l’écart avec les revenus prédits, dont les assurances jurent de se faire les garantes. En bout de course, les compagnies se rapprochent toujours plus du précipice, et leur chute pourrait être extrêmement sévère.

 

Au printemps déjà, le FMI mettait sérieusement en garde contre le phénomène de tension qui s’opère sur ce marché. Dans son rapport sur la stabilité économique mondiale, publié en avril, l’institution souligne que « la persistance des faibles taux d’intérêt mettra à rude épreuve un grand nombre d’établissements financiers ». Après avoir atteint, peu après la publication du rapport, le record absolu de 0,3%, puis être revenus à plus de 1% début mai, les intérêts des obligations sur dix ans replongent à nouveau. Or, le Fonds allait encore plus loin : « les tests de résistance réalisés par l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles font apparaître que 24% des assureurs risquent de ne pas pouvoir tenir leurs exigences de solvabilité, dans un scénario de persistance de faibles taux d’intérêt ». Autrement dit, dans ce « scénario » qui est de loin le plus probable de tous, un quart des compagnies se retrouveraient, ni plus ni moins, en incapacité de régler les prestations à leurs assurés – qu’il s’agisse de complémentaires retraites ou de tout autre contrat. L’ensemble du secteur de l’assurance, qui détient les capitalisations les plus élevées de la planète, se retrouverait bientôt plongé dans une crise aux conséquences faramineuses, et dont personne ne sait aujourd’hui s’il sera possible d’en sortir.

 

 

- Le pétrole et la guerre

Outre la crise des assurances, qui menace de frapper de plein fouet la zone euro, la situation internationale n’est pas au beau fixe. Un autre facteur, présenté en France comme bénéfique pour notre économie, est au cœur des préoccupations : la chute drastique du prix du pétrole. Le baril de Brent, après avoir atteint son plus haut historique à près de 140 dollars en juin 2008, avait largement pâti de la crise financière en tombant sous la barre des 40 dollars six mois plus tard. Mais son cours s’était immédiatement repris, revenant à 70 dollars en mai 2009, et oscillant autour des 100 dollars pendant près de cinq ans.

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Voici exactement un an, le baril était à plus de 110 dollars : il entama, alors, sa baisse la plus longue jamais observée. Jusqu’en janvier 2015, pas un jour n’est passé sans que le prix du pétrole finisse par baisser ; après une timide reprise en mars, son cours stagne depuis deux mois et les observateurs craignent une nouvelle chute, vers les abysses cette fois. Au passage, si le Brent est le plus représentatif avec près de deux-tiers des échanges mondiaux, il est important de souligner que le baril de pétrole américain suit exactement la même courbe, avec la même baisse historique durant six mois[4]. Bien sûr, les Français ont vu ce phénomène comme une bonne affaire : notre pays, très consommateur d’essence et dénué de toutes ressources, a vu ces événements comme un soulagement. Le mauvais présage de feu Christophe de Margerie, patron de Total jusqu’à son décès en octobre dernier, qui prévoyait pour les prochains mois un prix à la pompe de 2 euros pour le sans plomb, était écarté. Mais là encore, les conséquences d’un processus excessifs seront lourdes.

 

Les pays exportateurs de pétrole, qu’il s’agisse des monarchies du Golfe ou des pays d’Amérique Latine, dont le Venezuela de notre camarade Nicolas Maduro, se retrouvent en grave difficulté financière. Le cercle vicieux est en œuvre depuis maintenant un an : la baisse du baril entraîne logiquement des profits moins élevés pour les Etats producteurs ; leurs dettes publiques et leurs devises deviennent des placements moins avantageux, voire plus dangereux, ce qui provoque le départ de nombreux financiers ; ces pays se trouvent pris dans un certain étau, entre moins de profits et moins d’investissements. Les entreprises qui y ont encore leurs placements, pour beaucoup européennes et américaines, font face à des risques toujours plus élevés pour leurs trésoreries. Plus globalement, la sortie accélérée des capitaux en devises monétaires concernées entraîne un cercle vicieux, qui déstabilise complètement le marché international des changes.

 

Ce dernier vacille d’autant plus qu’un autre facteur vient perturber l’équilibre financier du capitalisme planétaire, et non des moindres : les guerres. Les années 2010 voient une très forte recrudescence des hostilités armées, dont la présentation par nos « grands » médias comme de simples guerres civiles cache mal l’ampleur de leurs répercussions. Tout particulièrement, les guerres libyenne et syrienne, largement encouragées par l’OTAN qui a financé et armé les prétendus « rebelles », déstabilisent des régions entières, voire des continents. Le Maghreb et le Moyen-Orient pâtissent sévèrement, d’un point de vue financier, de la montée en puissance des groupes djihadistes. La Libye et la Syrie étaient des modèles économiques, tant en point de vue de leur produit intérieur que de la distribution des revenus au sein de leurs populations. Cette relative prospérité a poussé leurs voisins à lier des capitaux aux leurs, tant elles représentaient une stabilité prometteuse. Les événements meurtriers, qualifiés de « printemps arabe » alors qu’ils étaient pour l’essentiel provoqués par des milices de mercenaires, ont profondément rebattu les cartes dans les régions.

 

Les puissances occidentales, Union européenne et Etats-Unis en tête, minimisent largement l’aspect économique de ces guerres ; d’une part, parce qu’elles les ont délibérément déclenchées, d’autre part, parce que des pays comme les USA ou la France placent leurs pions sur l’échiquier économique. En Libye, par exemple, Total s’est rué sur les exploitations pétrolières, faisant peu de cas de la population locale et de son devenir. En Syrie, le pari fait par la France est d’abord et avant tout la chute du régime d’El Assad, encore aujourd’hui malgré l’horreur incarnée par Daech. De solides, la Syrie et la Libye sont désormais vouées à s’écrouler dans le ventre mou du tiers-monde. Mais d’autres entreprises occidentales ou internationales avaient misé gros sur les économies syrienne et libyenne ; nombre d’entre elles ont procédé au retrait d’une quantité importante de capitaux. Et ce phénomène a, lui aussi, bouleverse le marché des devises.

 

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

La dépréciation rapide des taux de change accentue les tensions qui pèsent sur les entreprises fortement endettées en devises [des Etats producteurs de pétrole ou en guerre] et cela a provoqué de fortes sorties de capitaux des pays émergents », constate le Fonds monétaire international. Ce dernier souligne la gravité financière des événements actuels : « l’augmentation de la volatilité des principaux taux de change a été la plus forte depuis la crise financière mondiale. La diminution des liquidités sur les marchés des changes et les marchés obligataires, de même que l’évolution de la composition des investisseurs, ont accentué les frictions dans les ajustements de portefeuille ». Les « frictions » dans les « ajustements » sont des euphémismes : même s’ils jurent ne jamais céder à la panique, l’assombrissement des perspectives internationales donne aux investisseurs des sueurs froides.

 

 

- Faillites bancaires en pagaille

Petit à petit, les conditions d’un krach se réunissent. Aux éléments observés par le Fonds monétaire, d’autres phénomènes sont à étudier de près. La  situation des marchés financiers, en particulier en Europe, donne à elle seule un signal extrêmement pessimiste pour l’avenir immédiat.

 

C’est d’abord une banque autrichienne qui a provoqué en Europe centrale des remous démesurés. Depuis la crise de 2008, Hypo Alpe Adria (HAA) est incapable de sortir la tête de l’eau, empêtrée dans toutes sortes de placements toxiques. En grave difficulté depuis 2014, ses problèmes viennent pour l’essentiel de sa filiale Heta, spécialisée dans les investissements à risque. Pour maintenir ses activités, HAA se voyait régulièrement aidée par les fonds publics : entre 2008 et 2015, ce sont 5,5 milliards d’euros qui ont été versés, sans contrepartie ni remboursement, par l’Etat autrichien à la banque. Face à la colère des contribuables, et à l’impasse de la situation, l’Autriche a pris une décision le 1er mars dernier : ne plus donner un euro à Heta, dont les actifs ne représentaient plus alors que 280 millions d’euros. Mais cette structure était organiquement liée à de nombreux acteurs financiers, en Europe de l’Est et également en Allemagne.

 

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

C’est notamment la Düsseldorf Hypotherkenbank, basée dans la capitale de Westphalie, qui a pâti le plus immédiatement de la faillite annoncée de Heta. Banque modeste et entièrement liée à HAA, Düsselhyp représente néanmoins une première étape d’un « effet boule de neige considérable[5] », concède le quotidien libéral en ligne la Tribune  : « avec un impact initial de 280 millions, on met en péril un bilan de 11 milliards, et un marché de quelque 400 milliards d’euros ». Pour éviter la contagion, l’Association allemande des banques privées (BdB) a immédiatement pris le contrôle de la Düsselhyp ; mais cette dernière n’est pas la seule concernée par la faillite de la filiale de la HAA, loin s’en faut. La bavaroise BayernLB et Dexia Kommunalbank sont exposées à hauteur de plusieurs milliards. Si les flammes apparentes ont été étouffées, le brasier pouvant provoquer une crise bancaire en Europe centrale reste intact.

 

Parallèlement, un pays bien plus petit mais plus proche de nous était ébranlé par une crise de premier ordre : Andorre. La principauté, dont le président de la République française est également le chef d’Etat, a fait face à une déstabilisation jamais vue. La Banque privée d’Andorre (Banca Privada d’Andorra, BPA) s’est retrouvée sous la coupe d’une enquête américaine, ouverte le 10 mars par la FinCEN, organisme attaché au Trésor chargé de lutter contre le crime financier. En cause, la BPA avait blanchi l’argent de mafias chinoises, russes et vénézuéliennes, selon les autorités américaines. L’aspect géopolitique dans l’affaire est important, tant les trois pays cités constituent des adversaires de premier plan pour l’impérialisme états-unien ; du point de vue économique, qui nous intéresse ici, l’affaire a provoqué un déficit de confiance sans précédent pour les plus de 7 milliards d’actifs de la BPA. Le petit Etat a pris le contrôle de la banque, fait inédit dans son histoire ; mais, comme le rappelle la Tribune[6], Andorre n’a « pas de filets de sécurité ». N’étant pas membre de la zone euro, la Banque centrale de Francfort ne le renflouerait pas en cas de faillite ; or, les actifs de la BPA sont deux fois supérieurs au produit intérieur brut de la principauté. Si elle venait à déposer le bilan, elle entraînerait dans sa chute bien d’autres institutions, à commencer par les banques espagnoles avec lesquelles elle entretient des partenariats financiers privilégiés.

 

Pendant ce temps, les tensions grandissantes entre Europe et Russie ont coûté au grand pays une grave crise bancaire, qui n’a pas fini de le secouer. De nombreux établissements ont fait faillite au printemps, passant les uns après les autres sous la tutelle par la Deposit Insurance Agency (DIA), l’organisme public chargé de reprendre les banques déposant le bilan. En mars, l’équivalent de 18 milliards d’euros manquait aux banques pour assurer leurs financements, rendant dès lors insuffisant le plan de recapitalisation de 13 milliards mis en place par l’Etat. « Un quart des banques russes sont au bord de l’asphyxie », annonçaient alors Les Echos[7]. Pour éviter de se retrouver, elle-même, en difficulté, la géante Sberbank se refusait alors à toute aide vis-à-vis de ses concurrents. Malgré son intransigeance apparente, elle a accusé de lourdes difficultés au premier trimestre, avec une division par deux de ses bénéfices sur un an selon les résultats annoncés la semaine dernière[8]. Le premier facteur de ces résultats est intrinsèque au système bancaire, avec notamment une diminution de 16% des revenus nets tirés par la banque des intérêts des crédits.

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Enfin, après l’Allemagne et Andorre, c’est un autre voisin de la France qui semble proche de la tempête depuis ce printemps : l’Italie. Le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) a dévoilé, le 25 mars, un rapport qui a mis le feu aux poudres dans le microcosme de l’investissement financier. L’entreprise américaine d’audit et conseil, reprise par le magazine Challenges au mois d’avril[9], souligne « l’inflation galopante des crédits à risques des banques italiennes ». « Les prêts douteux augmentent sans cesse », souligne Jacques Sapir : « ils sont proches de 15 à 20% là où ils devraient être à 5% ». Du propre aveu de la Banque d’Italie, ces « prêts non performants » ont atteint 185 milliards d’euros en janvier, et continueront à augmenter en 2015 d’après PwC. Le système bancaire de notre voisin latin ne trouve plus grâce aux yeux des cabinets de conseil, comme Alpha Value, qui insiste sur le « fonctionnement coûteux » d’un « système éclaté », où « le niveau de fonds propres des banques est très bas ». La réaction est sans appel : les capitaux fuient désormais le pays. Après trois ans et demi de baisse, les taux d’intérêts des obligations italiennes remontent depuis trois mois[10], créant pour la finance nationale des tensions accrues. Challenges rappelle que « cette faiblesse a été mise en lumière par les tests de résistance de la BCE, en octobre, puisque neuf banques italiennes sur les quinze soumises à l’exercice ont échoué » aux « stress tests » de la Banque centrale. L’hebdomadaire économique, chantre du capitalisme, se fait franchement pessimiste sur l’avenir proche de la péninsule, reprenant en chapeau les propos de Sapir : « on peut s’attendre à une crise bancaire italienne majeure cet été ».

 

 

- Le retour des subprimes

Comme le veut la logique du marché, l’incertitude règne sur la suite des événements. Nous ne nous ferons pas oiseau de mauvais augure : il est impossible d’affirmer si la prochaine crise surviendra effectivement cet été. Néanmoins, le système financier est de plus en plus sous pression et les signaux négatifs ne manquent pas. Les faillites bancaires européennes, survenues pour des raisons diverses, restent jusqu’à présent des phénomènes isolés – mais, ajoutés aux processus globaux analysés par le FMI, créent les conditions d’une nouvelle crise.

 

Les « grands » médias se gardent bien d’aborder frontalement la question, trop attachés à défendre le système capitaliste, en glorifiant par exemple le 0,6% de croissance française. S’il est effectivement absurde de chercher à prédire la date du prochain krach, analyser en profondeur la situation des banques est par contre possible, utile et nécessaire. Il apparaît alors clairement que la prochaine crise aura bien lieu ; et qu’elle aura un retentissement, dans le monde et en France, sans doute plus puissant encore que celle de l’automne 2008. Pour comprendre le dernier krach, comme celui à venir, étudier la question des subprimes est éclairant. Loin d’être d’un autre âge, elle en dit long sur le système financier contemporain.

 

 

- Le d'or

A l’origine se trouve un système bancaire entièrement basé sur le crédit, dont les Etats-Unis sont le fer de lance. Au pays du « rêve américain », les revenus des travailleurs ont été comprimés pendant plus d’un demi-siècle ; à mesure que les profits des plus riches grimpaient en flèche, grâce aux hausses de production et aux gains de productivité, les salaires proportionnels n’ont fait que baisser. Pour soutenir artificiellement la consommation des ménages, les banques ont donc développé un outil formidable : les crédits à la consommation. Emprunter de l’argent est devenu toujours plus facile : pour acheter une maison ou une voiture, bien sûr, mais aussi un lave-linge, un aspirateur, et enfin pour payer ses baguettes. Les cartes de crédits, qui sont devenues la norme, permettent de régler ses achats du quotidien non plus avec l’argent présent effectivement sur le compte bancaire, mais avec de l’argent prêté par la banque que le consommateur devra rembourser les mois suivants. Comme chaque prêt, il comporte des taux d’intérêts élevés ; et avec un pouvoir d’achat artificiellement augmenté, les Américains se sont en fait retrouvés de plus en plus dans l’étau des banques.
 

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Aux Etats-Unis, le phénomène de surendettement atteint des niveaux inimaginables en Europe ; des millions de foyers sont concernés. Dans un ersatz de régulation du système se sont développées les agences de notation : chaque créditeur, chaque individu qui emprunte de l’argent, se voit attribuer une note sur 1.000, allant de la solidité financière incarnée (1.000) à l’insolvabilité la plus totale (0). Ce système, le « FICO score », introduit en 1989 par la société de logiciels informatiques éponyme, s’est institutionnalisé et il n’est plus une compagnie de crédits qui ne le prend en compte. Dès la fin des années 1990 s’est formée une nouvelle catégorie de la population, les « mauvais payeurs », accumulant les dettes et les retards sur leurs remboursements : les subprimes. Fixé historiquement à 640, puis variable[11], il est un niveau du FICO score en-dessous duquel les ménages ne peuvent plus contracter de nouveau prêt, sauf à accepter des conditions particulières. A partir de 2001, le nombre d’individus catégorisés subprimes n’a cessé de croître.

 

Dans un processus décortiqué avec talent par Michael Moore dans son film Capitalism : A love story[12], les banques ont mis en place au début des années 2000 un système pernicieux. Les familles surendettées se sont vues proposer de prendre un crédit sur l’hypothèque de leur logement : en pleine ascension des prix de l’immobilier, s’est diffusée l’idée selon laquelle les maisons sont des « tas d’or », des « banques » à elles seules. Si un ménage, même endetté jusqu’au cou, vivait dans une maison estimée à 200.000 dollars, alors il pouvait emprunter une part proportionnelle à la banque, proche parfois de la valeur estimée du bien. Du point de vue des banques, le calcul était simple : en prêtant de l’argent, les ménages pourront consommer, investir, vivre mieux et dégager bientôt de quoi nous rembourser ; pour ce service, nous pouvons appliquer des taux d’intérêts fluctuants, très profitables, indexés sur le marché pour maximiser le rendement des prêts hypothécaires ; enfin, si la famille en vient à ne plus payer ses traites, nous pourrons saisir le logement, ce qui constitue une garantie de remboursement à coup sûr. Chacun sait aujourd’hui que ce scénario ne s’est pas déroulé comme prévu.

 

 

- La perversion du système

Si le mécanisme de crédits en était resté là, tout injuste qu’il est pour des travailleurs pris à la gorge, il n’aurait pas provoqué la tempête de 2008. En réalité, le système va beaucoup plus loin. La finance capitaliste repose sur un principe élémentaire : les établissements prêtent de l’argent qu’ils n’ont pas. Pour bien comprendre, nous allons prendre un exemple abstrait.

 

Mettons que mille individus demandent, chacun, un prêt de mille dollars à la banque A. Celle-ci n’a pas un million d’euros en poche ; mais elle peut en avoir seulement  100.000, soit 10%, et accorder malgré tout ces prêts. Le procédé est simple : pour récupérer le million de dollars, elle recourt marché financier. En émettant des actions, elle peut se financer massivement, pour réaliser ses opérations et au final, donner à ses financeurs une bonne rentabilité. Le plus souvent, ça fonctionne très bien : la banque A, si elle applique un taux d’intérêt moyen de 5% à ses clients, en redistribuant 3% aux actionnaires et en empochant 2% de commission, fait une excellente affaire. Cela signifie qu’elle a gagné 20.000 dollars, pour avoir prêté un argent qu’elle ne possède pas ; et au passage, elle a grassement rémunéré les actionnaires, qui auront davantage confiance en elle.

 

En réalité, les sommes sont bien plus élevées, donc les risques aussi. Pour parer les probabilités de ne pas se voir rembourser, la banque A veille à mutualiser les risques. Elle combine les engagements financiers : si une action reposait, au bout du compte, sur un seul crédit, elle ne vaudrait plus rien au cas où l’endetté ne rembourserait pas. La banque A veille donc à ce que chaque titre sur le marché corresponde à une somme de parts dans de nombreux crédits, étalés temporellement et géographiquement : c’est la titrisation. De plus, notre banque émet en réalité des actions pour un montant supérieur aux prêts qu’elle fournit aux ménages ; ainsi, elle place des capitaux dans une multitude d’investissements, sûrs ou très rentables. Avec une trésorerie toujours égale à 100.000 dollars, la banque A peut donc brasser, par exemple, deux millions de dollars sur les marchés financiers : tout repose sur la promesse de gains contenue dans le bénéfice qu’elle réalisera sur cette capitalisation élevée.

 

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Là où l’affaire se corse dangereusement, c’est que les deux millions de dollars de capitalisation font eux-mêmes l’objet d’une spéculation. A partir de ces actifs financiers sont émis des dérivés de crédit, consistant en des options d’achats – mais pas des promesses – des actions concernées. Ce mécanisme permet, a priori, de réduire les risques : un autre financeur, l’acheteur du dérivé, se porte garant pour l’actif et le « protège ». En réalité, c’est un moyen pour les financeurs de doper dans des proportions astronomiques la quantité de capitaux, donc les revenus qui leur sont liés – les dividendes notamment. Ce commerce juteux s’est placé, ces dernières décennies, au cœur du système financier international. Pour l’exemple de la banque A, les deux millions d’actifs financiers peuvent faire l’objet d’un montant équivalent de dérivés de crédit. La capitalisation totale de l’affaire est donc portée à quatre millions de dollars ; le tout, alors que seul un million a été effectivement prêté, et pourra fera l’objet de remboursement ; et alors que la trésorerie de la banque A est, encore et toujours, à 100.000 dollars, soit moins de 3% de la capitalisation totale prenant en compte les dérivés.

 

L’exemple présenté, derrière des sommes abstraites pour rendre les mécanismes intelligibles, est loin d’être une exception : c’est le modèle de la finance capitaliste. Il est question ci-dessus de dollars, pour ne pas trancher avec le présent exposé sur les subprimes ; mais le raisonnement reste parfaitement valable en euros ou en francs, étant donné que le mécanisme est tout autant utilisé par les compagnies d’assurance et les banques françaises. Revenons donc à notre exemple. A partir d’un millions de dollars dans l’économie réelle, qui représentent déjà un pouvoir d’achat artificiel pour les ménages endettés, ce sont quatre millions qui peuvent transiter sur les marchés et arroser copieusement les gros porteurs d’actions. Le système tient parce que les capitaux se renouvellent, parce que les ménages continuent de contracter toujours plus de crédits immobiliers ou à la consommation, et parce que les mouvements de fonds sont permanents. Il subsiste même si, parmi les 1.000 individus qui ont emprunté mille dollars à la base, 50 en viennent à ne pas pouvoir rembourser.  Mais à 100 insolvables, le système vacille dangereusement ; et si la confiance se perd, les capitaux s’enfuient aussi rapidement qu’ils sont arrivés.

 

 

- La crise des subprimes

Différents facteurs ont progressivement conduit à la crise des subprimes, survenue en août 2007. D’abord, les taux d’intérêts appliqués par les organismes de crédits pour les prêts hypothécaires se sont envolés, quand la Réserve fédérale – la banque centrale états-unienne – a rehaussé son taux directeur, de 1% en 2004 à plus de 5% en 2007. Dès lors, le montant des échéances mensuelles ont grimpé pour ceux qui avaient souscrit à un crédit subprime. Une raison rarement évoquée par les observateurs est le marasme économique états-unien : comme en France, bien qu’à un degré moindre, l’appareil industriel des USA a été progressivement démantelé, ces dernières décennies, par les grands groupes capitalistes qui ont délocalisé la production en Asie. Dans leur pays d’origine, ces entreprises maintenaient un chiffre d’affaire artificiellement élevé par de nombreux engagements financiers avec le secteur de la bancassurance ; ce n’est donc pas pour rien si des géants, comme General Motors, sont passés en 2008 à deux doigts de la faillite. Toujours est-il que le chômage des Etats-Unis a grimpé au cours des années 2000, renforçant la condition de pauvreté des travailleurs américains, et donc leur incapacité à payer leurs traites.

 

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Dès lors, un nombre grandissant de ménages se sont vus dans l’incapacité de régler les échéances mensuelles. Le phénomène grandissant, il a d’abord mis en danger les asset-backed security, ou ABS, les titres financiers conçus à partir des crédits subprimes. Les banques et assurances propriétaires de ces titres les avaient, elles-mêmes, transformés en toutes sortes de dérivés de crédits, dont les collateralised debt obligation ou CDO, considérés sûrs car mêlant les créances immobilières des subprimes à des titres obligataires émis par les Etats. Le rendement promis pour ces produits financiers était élevé, c’est pourquoi certains établissements, financiers voire immobiliers, s’étaient spécialisés dans la détention de ces titres. Plus les organismes détenaient de ces actions « toxiques », et plus rapidement ils se sont retrouvés piégés. En 2007 puis en 2008, ce sont des poids lourds qui ont successivement été atteints par la paralysie financière : la banque Bear Stearns, d’abord, pionnière dans les méthodes de titrisation – parfois répétées sur les mêmes produits pour espérer créer une cascade de profits. Investie à plus de 80% sur le marché des capitaux, délaissant l’économie réelle comme la gestion de patrimoine (10%), la Bear était la cinquième banque d’affaires de Wall Street. En situation de dépôt de bilan, elle a été rachetée en mars 2008 par la banque commerciale JPMorgan Chase à 10 dollars l’action, soit treize fois moins que son niveau d’octobre 2007.

 

Au printemps 2008, certains pensaient que le pire était passé ; mais l’étau ne faisait que commencer à se refermer sur des acteurs plus importants encore, comme le retrace le captivant docu-fiction Too big to fail[13]. Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC), deux sociétés par actions créées par le gouvernement fédéral pour augmenter la taille du marché des prêts hypothécaires, se sont retrouvées asphyxiée : à elles deux, elles assuraient envers les organismes de crédits 5.200 milliards de dollars d’hypothèques, soit des centaines de fois leurs fonds propres. Fin juillet, au bord de la faillite, le Trésor consent à prendre le contrôle des entreprises pour éviter la liquidation pure et simple. Enfin, ce fut au tour de Lehman Brothers, quatrième banque des Etats-Unis, de se retrouver sous le feu des projecteurs. Les événements ont alors sévèrement démenti l’adage courant dans le milieu de la finance américaine, appliqué notamment dans le cas de cette banque, selon lequel l’établissement serait « trop gros pour faire faillite ». Mi-septembre, faute de repreneurs, Lehman Brothers n’a eu d’autre choix que d’être liquidée, faisant s’envoler les promesses de rendements et de remboursements des innombrables acteurs financiers engagés avec elle. La faillite de la banque fut l’élément déclencheur du krach boursier international.

 

 

- Recave géante

Les observateurs se penchant sur l’étude de la crise financière mondiale se sont surtout focalisés sur la question des crédits subprimes, sur les conditions du marché américain, ou sur le comportement du Trésor – c’est d’ailleurs l’angle du téléfilm de HBO cité plus haut. Rares sont ceux qui se sont intéressés à la partie émergée de l’iceberg, le système financier lui-même.

 

Il est vrai que les subprimes, en tant que placements risqués qui ont fini dans le mur, sont l’élément déclencheur du krach international ; mais, finalement, ils n’en sont pas le moteur. La cause première de la crise réside dans la structure même de la finance capitaliste, c’est-à-dire la titrisation et la production de dérivés de crédits. Complexe et technique, la question est soigneusement évitée par les « grands » médias, tant obnubilés par leur audience que défenseurs invétérés du capitalisme contemporain. Pourtant, c’est bien la structure même de l’économie qui permet une telle spéculation, et qui engendrera des crises toujours plus violentes.

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Au lendemain de la crise financière, les chefs d’Etat, rassemblés au Conseil européen ou au G20, ont multiplié les déclarations d’intention. En janvier 2009, Nicolas Sarkozy ouvrait à Paris la conférence internationale « Nouveau monde, nouveau capitalisme », en insistant : « on doit moraliser le capitalisme (…) ceux qui refusent la refondation, font le lit de ceux qui veulent détruire le capitalisme ». A ses côtés, Angela Merkel estimait que « la seule possibilité » était de « réformer le système financier », « pour inciter les marchés financiers à ne pas prendre trop de risque ». Tony Blair, alors jeune retraité de son poste de Premier ministre britannique et consultant financier pour les multinationales, abondait : « il faut une gouvernance mondiale afin de réguler le système financier face à la crise internationale ». Il est important de préciser que tous ces discours restèrent lettre morte. Plus aucun dirigeant ne parle de régulation, au contraire ; tous insistent sur le besoin de rendre l’économie « compétitive », donc de la libérer de toute contrainte – même, par exemple, pour établir un seuil de ratio entre fonds propres et capitalisation à ne pas dépasser.

 

Cette envie passagère de « moralisation » était une réponse contextuelle à des peuples interloqués par les sommes en jeu. En novembre 2008, pour « sauver les banques », les Etats ont mis des sommes astronomiques sur la table. Ainsi, la France a proposé 360 milliards d’euros de recapitalisation et d’argent frais aux banques qui le souhaitaient, une initiative alors saluée y compris par le Parti socialiste et le Front national, satisfaits de voir les grandes banques françaises extraites de la tempête. Sans aucune contrepartie, cette manne incroyable a été distribuée aux établissements financiers qui n’hésitaient pas, bientôt, à mordre la main qui les a nourris. Car ces centaines de milliards ont été financés par un large emprunt de l’Etat sur les marchés, c’est-à-dire aux mêmes banques et compagnies d’assurances bénéficiant du « plan de sauvetage » ; et elles n’hésitaient pas à tout faire pour maintenir, sur cette dette créée de toutes pièces, les taux d’intérêts les plus élevés. Dans un rare instant de lucidité[14], Le Monde relaya en janvier 2014 une étude selon laquelle « entre 200 et 300 milliards d’euros par an d’avantage financier » ont bénéficié aux banques européennes.

 

Même au cœur de la crise financière, en 2008, les principales banques françaises ont réalisé des milliards d’euros de bénéfices, distribuant à leurs dirigeants et actionnaires des gigantesques profits. Grâce à la recapitalisation gratuite fournie par les Etats, donc les travailleurs contribuables, aucune remise en question n’a été réalisée par les grands établissements financiers. En fait, alors que le krach venait de faire disparaître en poussière des milliers de milliards d’euros dans les bourses de la planète, les gouvernements et la grande bourgeoisie financière propriétaire des banques ont simplement veillé à remettre dix balles dans le flipper. Ou pour prendre une image plus appropriée aux méthodes de casino employées dans la finance capitaliste, à opérer une « recave » géante – paiement d’une nouvelle mise pour revenir à la table de jeu, après avoir perdu au poker. Les milliers de milliards d’euros dépensés par les Etats pour « aider » les banques ont permis à ces dernières de poursuivre leurs activités de spéculation, en prétextant que les cesser reviendrait à céder à la panique, le tout sous les applaudissements des politiciens européens. Dans ce mauvais cirque, les travailleurs ont été doublement perdants : d’abord, ce sont les petits porteurs et les salariés qui ont subi de plein fouet la crise financière ; ensuite, ce sont tous les contribuables, notamment les simples employés écrasés par les taxes, qui ont payé le remboursement de la dette publique, donc le « plan de sauvetage » du système.

 

 

- La bulle éclatera

L’un des premiers principes du capitalisme est l’opacité dans laquelle les dirigeants économiques opèrent. Les propriétaires de capitaux ont un droit inaltérable à l’anonymat, à la « liberté » de spéculer avec des sommes à peine croyables, et n’ont de comptes à rendre à personne. Il est donc très difficile de connaître la situation réelle des banques aujourd’hui, et pour l’observateur étranger aux cercles de pouvoirs, se fier aux indices laissés par le marché sont la seule option. Le rapport du FMI est, à lui seul, un puissant révélateur sur l’état d’esprit dans lequel se trouvent les dirigeants financiers, pourtant versés d’ordinaires dans l’autosatisfaction et le déni des risques.

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

« La délégation de la gestion quotidienne de portefeuille crée des problèmes d’incitation entre investisseurs ultimes et gestionnaires, ce qui peut encourager des comportements déstabilisateurs et amplifier les crises », dit le Fonds monétaire international. « La stabilité financière n’est pas fermement établie dans les pays avancés et les risques se sont intensifiés dans beaucoup de pays émergents » poursuit l’organisme international, dans un discours dont la platitude n’a d’égale que le caractère exceptionnel. Le meilleur résumé se trouve sans doute dans les constatations les plus techniques : « Les options de rachat facile et la présence d’un «avantage du précurseur» peuvent provoquer des risques de ruée, et la dynamique des prix ainsi enclenchée peut s’étendre à d’autres compartiments du système par le conduit des marchés de financement, des bilans et des garanties. ». Au cas où ça ne vous semble pas très clair, en langage FMIste, ça signifie que la prochaine crise internationale est pour très bientôt.

 

 

- Ça gonfle, ça gonfle

L’autre institution internationale issue de Bretton Woods, la Banque mondiale, présente des statistiques qui peuvent être un marqueur très intéressant. Pourtant, comme l’INSEE, la façon dont les données sont présentées et structuraient gomment volontairement les paradoxes béants de l’économie contemporaine, pour mieux défendre l’ordre établi ; de plus, la Banque accuse un grave retard dans la publication des chiffres, les derniers en date étant ceux de l’année 2013. Néanmoins ils restent instructifs : les capitalisations boursières totales des entreprises cotées[15], après avoir accusé le coup en 2007-2008 et en 2011, sont nettement reparties à la hausse. Elles marquent une reprise en flèche des spéculations boursières, alors même que les économies réelles ont tendance, elles, à patiner.

 

Les ratios capital/actif des banques ont suivi, en sens inverse, la même courbe[16] : ces dernières années, la part de fonds réels contenue dans la capitalisation des établissements financiers a lourdement diminué ; et tout indique que le mouvement s’est accéléré entre 2013 et 2015, une période non traitée par la Banque mondiale. Cette courbe internationale n’a pas été suivie par la France : notre pays a légèrement amélioré son ratio ces dernières années. Il faut dire que les banques hexagonales partaient de très loin : en 2013, dernier chiffre connu, les établissements français ne disposaient toujours que de 5,4% de fonds propres par rapport à l’ensemble de leurs actifs financiers. C’est, à très peu de choses près, au même niveau que l’exemple que nous donnions : une capitalisation à deux millions d’euros pour un capital réel à 100.000 euros.

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Plus probant encore, la montée vertigineuse des capitalisations est constatable par l’évolution des places boursières, autant valable en points d’indice qu’en montant monétaire. Le Dow Jones, qui avait atteint les 14.198 points en octobre 2007, a dégringolé dans les mois qui ont suivi, passant brièvement sous la barre des 8.000 points début 2009. Mais très rapidement, il a repris un rythme de croissance soutenu, franchissant son record avec 14.268 points en mars 2013, et ne cessant de crever le plafond depuis. Le 19 mai 2015, il a établi son plus haut niveau en fermeture à 18.312 points ; au soir du 1er juin, il était toujours supérieur à 18.000.

 

La Bourse de Paris et son indice phare suivent la même déroutante course. Supérieur à 5.000 points en ce début du mois de juin, il atteint surtout des niveaux de capitalisation record. Mi-juillet 2007, avant d’être affecté par la crise des subprimes, le CAC 40 établissait un record avec tout juste 1.300 milliards d’euros. Il a ensuite lourdement baissé dans les dix-huit mois qui ont suivi : d’environ 1.000 milliards début 2008, le CAC n’était plus qu’à 570 milliards d’euros début 2009. Depuis, l’indice boursier français n’a fait que grimper, si bien que ce printemps, le record de juillet 2007 a été allègrement franchi. Le CAC s’est élevé au-dessus des 5.000 points, en finissant le 1er juin avec une capitalisation de 1.353,28 milliards d’euros ; et le 27 avril, il a même réalisé un record en clôturant à 1.415 milliards.

 

 

- L’explosion pour bientôt

Ces chiffres qui se succèdent semblent ne pas signifier grand-chose, et il est vrai qu’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ce sont de petits révélateurs d’un mouvement global : jamais la capitalisation, en France et dans le monde, n’a été aussi élevée. En ajoutant l’ensemble des établissements financiers, le fossé entre l’économie réelle et la spéculation boursière devient une abîme. Dans cette course effrénée, la bulle gonfle encore et toujours, en quantité et en proportions, faisant apparaître toujours plus nettement la seule perspective possible : l’éclatement violent de ce gonflement artificiel, le plus grand que l’Histoire aura connu.

 

Les grands porteurs d’action, les milliardaires de la grande bourgeoisie financière, savent parfaitement jouer avec les règles du marché ; quand l’éclatement surviendra, ils en seront les premiers informés, car ils disposent de tous les outils pour visualiser l’évolution proche des actifs financiers. En attendant, ils s’empiffrent sans aucun cas de conscience : en 2014, les dividendes du CAC 40 ont bondi de 25%. Dévoilés, sans bruit[17], en février 2015, ils ont atteint 56 milliards d’euros pour la seule année dernière, et pour les seules quarante entreprises présentes dans l’indice. Le record, accompli en 2007 avec 57,1 milliards d’euros, est frôlé.

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Dirigeants économiques, politiciens et éditorialistes poursuivent leurs activités, vaquent à leurs occupations sans se soucier de la suite. Pourtant, dans les sphères proches du pouvoir – réel, celui de la grande bourgeoisie – la certitude d’une crise prochaine se dessine plus clairement. Et cette fois, personne ne sait exactement comment en sortir. Les Etats, déjà étranglés par une dette gigantesque due au « sauvetage » de 2008 et aux intérêts des créanciers, auraient bien du mal à allonger la monnaie pour « recaver » une deuxième fois dans la même décennie. Mais pour l’instant, nos très chères élites font l’économie d’une telle discussion.

 

Le scénario se confirmera : si ce n’est pas cet été, ni en 2016, ce sera à coup sûr dans les prochaines années. Le système financier capitaliste est un monstre gigantesque, en croissance permanente, construit toujours plus sur du vide. La sortie de la crise financière de 2008 par une extorsion massive de richesses aux peuples, organisée par la caste politico-médiatique aux ordres de la classe capitaliste dominante, a simplement accordé un sursis de quelques ans au système en place. La crise des subprimes, et le krach international consécutif, ont révélé la nature même du régime économique de notre époque, où l’artifice cache mal les blessures profondes. Il ne reste plus qu’à espérer que les peuples, à commencer par les travailleurs français, en fassent une occasion de pousser à la transformation radicale de notre société. Céder à la servitude une nouvelle fois mettrait à genoux la France, sa classe ouvrière, son restant de souveraineté ; se redresser, au contraire, est toujours possible. Il faudra, simplement, arrêter de s’incliner devant la poignée de milliardaires et leurs avatars politiques, de la gauche socialiste à l’extrême-droite chauvine.

 

  • Les indices ne manquent pas pour annoncer la crise prochaine. Déjà, le FMI sonne l’alarme, dérogeant à ses habitudes les plus élémentaires ; ensuite, les faillites en série dans l’espace européen sont un signal fort de ce qui adviendra ; enfin, la structure même de la finance capitaliste pousse l’économie, à vitesse grand V, vers le prochain krach boursier.
  • Il ne fait nul doute que la prochaine crise arrivera ; ce peut être cet été, ou dans cinq voire dix ans, mais elle est inéluctable.
  • La course effrénée conduite par les grands financiers, poussés par la caste politico-médiatique, fera beaucoup de dégâts – et avant tout chez les travailleurs qui nourrissent le monde de richesses, plutôt que chez les spéculateurs qui gonflent leur fortune.
  • La question qui doit nous animer, désormais, est moins la façon dont cette crise se déroulera, ou le moment auquel elle surviendra ; mais ce que nous ferons, en tant que peuple déjà âprement exploité, quand l’économie mondiale sera à nouveau à la croisée des chemins.

 

PS :

L’article est consultable sur la nouvelle version du BILAN à cette adresse, pour un plaisir de lecture accru. Profitez-en !

 

Notes :

[1] : http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/gfsr/2014/02/pdf/execsumf.pdf

[2] : http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/gfsr/2015/01/pdf/execsumf.pdf

[3] : https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux/les-indices-obligataires.html

[4] : http://prixdubaril.com/

[5] : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/l-allemagne-tente-de-contenir-la-contagion-de-la-crise-bancaire-autrichienne-461187.html

[6] : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/andorre-menacee-par-une-crise-bancaire-de-grande-ampleur-460932.html

[7] : http://www.lesechos.fr/01/03/2015/lesechos.fr/0204192794824_la-crise-bancaire-s-accelere-en-russie.htm

[8] : http://fr.euronews.com/2015/05/28/la-banque-russe-sberbank-victime-de-la-crise-et-des-sanctions/

[9] : http://www.challenges.fr/economie/20150402.CHA4540/l-italie-est-elle-au-bord-d-une-crise-bancaire-majeure.html

[10] : http://www.borse.it/spread/quotazioni/BTP_BUND/90/giorni

[11] : http://www.argentumlux.org/documents/JEL_6.pdf

[12] : https://www.youtube.com/watch?v=mzuPeyi7FWc

[13] : http://www.hbo.com/movies/too-big-to-fail/

[14] : http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/27/les-banques-europeennes-et-le-jackpot-des-garanties-d-etat_4354966_3234.html

[15] : http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/CM.MKT.LCAP.GD.ZS

[16] : http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FB.BNK.CAPA.ZS/countries

[17] : http://www.leparisien.fr/economie/cac-40-56-milliards-d-euros-de-dividendes-reverses-aux-actionnaires-09-02-2015-4518971.php

 

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- Pour Jean-Luc Mélenchon, le 30 novembre 2017 : « il va y avoir une crise car la bulle financière va éclater et personne ne paiera jamais cette dette. »

Jean-Luc Mélenchon était l'invité de "L'Émission politique" sur France 2. Une émission au cours de laquelle il a déclaré. : « Ecoutez moi bien car c’est une chose très importante pour l’histoire des années qui viennent… Premièrement, il va y avoir une nouvelle crise parce que la bulle financière va éclater. Deuxièmement, personne ne paiera jamais cette dette. Faites-moi plutôt confiance pour essayer d’en sortir par le haut tranquillement, gentiment, plutôt que de laisser tout se détruire et les économies plonger dans le chaos ! Eh bien, je vous donne rendez-vous dans un an ou deux et on discutera de savoir où on en est. »

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18 juin 2015 4 18 /06 /juin /2015 08:08
Analyse : les mutations du paysage politique en France

Sources :  A l'encontre par François Sabado du NPA le 31 - mai - 2015

On a souvent abordé la situation française comme une « exception », en Europe. On parle de l’exception française, en faisant référence à une histoire encore marquée par la Révolution française de 1789.

 

Cela recouvrait, en fait : un certain type d’acquis sociaux, un puissant service public, un Etat fort, un mouvement ouvrier important et dynamique, un haut niveau des luttes de classes, des droits sociaux et des libertés démocratiques et laïques arrachées par des mobilisations populaires historiques.

 

Si l’Etat fort s’est maintenu, toutes les conquêtes sociales ont été remises en cause dans les dernières années.

 

La longue durée de la contre-réforme libérale depuis la moitié des années 1980, en France, son accélération avec la crise ouverte en 2008, la politique d’austérité et l’œuvre de démolition sociale entreprise par le gouvernement socialiste de Hollande ont déconstruit et démantelé ce qui a constitué cette exception française. Il ne s’agit pas d’un effondrement, mais d’une déconstruction, d’un démantèlement progressif.

 

 

- Des bouleversements socio-économiques

Les politiques d’austérité menées ces dernières années ne sont pas les énièmes politiques d’austérité, elles ont une tout autre ampleur. Elles visent un double objectif : Le premier, consiste à liquider ce qui reste du « modèle social français » qui est considéré par les classes dominantes comme un des principaux obstacles dans la concurrence capitaliste mondiale. Le deuxième, c’est de réorganiser la société, en passant de « l’économie généralisée de marché à la société de marché », privatisant, dérégulant et précarisant la vie économique comme sociale. D’où, le caractère central des « réformes du marché du travail » avec une déréglementation des relations sociales, une déconstruction du Code du travail qui affaiblissent les positions des salarié·e·s et renforcent celles du patronat. Ces politiques s’accompagnent aussi d’un chômage massif – en réalité, près de 20% de la population active –, d’une baisse du pouvoir d’achat avec le blocage des salaires et des retraites et d’une augmentation substantielle des impôts. La précarité a explosé.

 

Les politiques de réduction des budgets sociaux, des dotations des collectivités territoriales, du système de santé, de l’école publique, aggravent les conditions de vie des classes populaires. Les politiques d’aides et de cadeaux au patronat se sont traduits par un transfert de richesses de plusieurs dizaines de milliards qui sont allés des ménages vers les profits capitalistes. Certes, les conséquences de la crise ne sont pas aussi fortes qu’en Grèce, au Portugal ou en Espagne. La France reste la sixième puissance mondiale, il lui reste des positions importantes sur le marché mondial, elle a pu faire fonctionner une série d’amortisseurs sociaux face à la crise, mais les effets des politiques d’austérité sont dévastateurs. La reprise économique que connaissent l’Europe et le pays ne se traduit pas en emploi et en pouvoir d’achat. Il y a un appauvrissement des classes populaires, voire des processus de décomposition sociale dans certaines banlieues ou quartiers. Aux politiques d’austérité s’ajoutent des dérives autoritaires ; au nom de la politique antiterroriste, on remet en cause des droits démocratiques fondamentaux. On n’avait pas vu, en France, une telle situation où la gauche est liberticide, depuis la guerre d’Algérie.

 

Mais à la crise économique et sociale, s’ajoute une crise politique, justement parce que c’est la gauche (PS) qui fait cette politique, qui s’est attaquée aux travailleurs, qui a perdu toute une partie de sa base sociale et donc qui ne peut s’appuyer pour diriger que sur une assiette sociale et politique fort rétrécie.

 

 

- La transformation bourgeoise du Parti socialiste

En 2012, les socialistes occupaient tous les pouvoirs institutionnels : Présidence de la République, majorité à l’Assemblée nationale, au Sénat, dans les principales villes, dans les départements et dans quasiment toutes les régions. Aujourd’hui, ils les ont perdus ou vont les perdre. Aux dernières élections départementales où l’abstention a été de près de 50%, le PS n’est plus que le 3e parti avec 21 %, derrière le Front National avec 25% et la droite conservatrice avec 29%. Ils sont passés de 280’000 adhérents en 2006 à 130’000 adhérents en décembre 2014. Seulement 70’000 « militant·e·s » ont voté pour le prochain congrès. Mais le PS français ne connaît pas de « Pasokisation. Il compte encore plus de 20 % des suffrages. Il n’y a pas d’effondrement. La France n’est pas la Grèce. Cela renvoie aux différences de niveau de la crise dans les deux pays. Mais il y a un affaiblissement considérable du PS et surtout un changement de la nature profonde de ce parti. Il y a, ce qu’on pourrait appeler une accélération dans la transformation bourgeoise de la social-démocratie. Un processus qui vient de loin, mais qui s’accélère. Cette transformation s’est traduite par une intégration sans précédent des appareils de la social-démocratie dans les sommets de l’État et de l’économie globalisée. Les partis socialistes sont devenus « de moins en moins ouvrier et de plus en plus bourgeois ». La brutalité des politiques néolibérales endossées par la social-démocratie sape ses bases sociales et politiques.

 

Certains théoriciens du PS en France – les animateurs du « Think tank » Terra Nova – en ont conclu qu’il fallait changer les cibles sociales de la social-démocratie. Les ouvriers, les employés et les techniciens, devaient être remplacés par les cadres, les professions libérales et les couches supérieures du salariat. Bref, il fallait « changer de peuple ». La composition des organes de direction s’est, aussi, modifiée : les enseignants, les bureaucrates syndicaux, les avocats, (« les bistrotiers », ajoutait à l’époque Trotski), ont laissé place aux énarques [sortis de l’Ecole nationale d’administration], technocrates et financiers. Au point que les partis socialistes connaissent une espèce de dévitalisation, une rupture avec des pans entiers de leur histoire. Les adhérents sont remplacés par des professionnels de la politique : élus et assistants d’élus. Les politiques de l’Union européenne (UE) ont aggravé cette mutation qualitative. Sous des formes différentes, les partis socialistes se transforment en partis bourgeois. Deviennent-ils pour autant des partis bourgeois comme les autres ? Pas tout à fait, le fonctionnement de l’alternance exige des PS qu’ils marquent leur différence avec les autres partis bourgeois. Ils restent liés, par leur origine historique, au mouvement ouvrier, mais ce ne sont plus que des traces qui s’effacent dans la mémoire des militant·e·s. Cela crée néanmoins des contradictions et des oppositions au sein de ces partis. Ils peuvent garder un certain rapport au « peuple de gauche », même s’il est de plus en plus distendu. Cette mutation qualitative, si elle allait jusqu’au bout, transformerait ces partis en « partis démocrates à l’américaine ».

 

Cette transformation bourgeoise néolibérale – néolibérale est plus juste que social-libéral, car il n’y a pas grand-chose de social dans cette évolution de la social-démocratie – est maintenant cristallisée, mais elle n’est pas suffisante pour les courants les plus à droite des Partis socialistes. En France, par exemple, Manuel Valls [Premier ministre du Président François Hollande] a déclaré plusieurs fois, qu’« il fallait liquider toutes les références sociales- démocrates ». Emmanuel Macron, banquier et ministre des Finances de Hollande, a renchéri en appelant, lui aussi, à l’abandon de « toutes les vieilleries de la gauche ». Ce qu’ils veulent, c’est transformer le processus en cours en tendance achevée, quitte à casser le Parti socialiste. C’est une hypothèse qui, en cas de nouvelle débâcle aux prochaines présidentielles de 2017, peut emporter le PS. Les droites du PS sont, aujourd’hui, à l’offensive mais force est de constater que face aux tenants de la marche forcée vers la transformation néolibérale, les diverses oppositions ne renouent pas avec un réformisme classique et encore moins avec les idées des courants de gauche historiques de la social-démocratie. Les politiques néolibérales ne sont corrigées qu’à la marge. Les dirigeants de l’opposition interne au PS ont voté pour le « Pacte budgétaire européen » (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé en mars 2012.) Ils ont voté à l’Assemblée nationale pour l’ANI (Accord sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi) – une déréglementation des relations sociales – et l’allongement de l’âge de la retraite. Les années de contre-réforme néolibérales et les reculs qu’a connus le mouvement ouvrier en Europe sont passés par là. L’horizon de ceux qui au sein des partis socialistes s’opposent aux « trahisons » les plus criantes reste borné par les fondamentaux des politiques néolibérales.

 

 

- La droite et l’extrême droite à l’offensive

Du coup, cette politique conduit à la déroute électorale. A cette étape, la droite et l’extrême droite qui sont en pointe. Il est toujours hasardeux de se lancer sur des pronostics. Mais le plus probable, pour la prochaine élection présidentielle, c’est un deuxième tour à la présidentielle de 2017 entre le candidat de droite et Marine Le Pen. Le candidat socialiste sera éliminé au premier tour. Il ne peut compter que sur les « affaires judiciaires » qui peuvent liquider Sarkozy ou des divisions de la droite, telles, que celle-ci ne pourrait participer au deuxième tour de la présidentielle. Ces divisions sont un vrai problème pour la droite française. Elle bénéficie d’une poussée comme dans presque tous les pays d’Europe, mais, en France, il y a le Front national qui pèse de tout son poids – 25 % – sur la droite traditionnelle et qui la fissure. Il y a ainsi deux grands courants dans la droite. Un courant incarné par Sarkozy qui chasse sur les terres politiques du FN Front national), « pour le contenir et regagner des électeurs ». Il y a d’ailleurs dans une série de régions une réelle porosité entre les électorats de droite et d’extrême droite. Elle reprend ses thématiques racistes, autoritaires. Et un courant de la droite et du centre qui garde ses distances vis-à-vis des thèmes du FN. Les deux courants se situant dans le cadre de l’UE, à la différence du Front National. Jusqu’à maintenant, la droite a contenu la poussée de l’extrême droite, mais jusqu’à quand ?

 

Le Front national occupe déjà, une place centrale dans la vie politique. Avec ses 25 %, il s’est enraciné. Il a aujourd’hui un électorat populaire. Une question reste ouverte, ce sont les conséquences de la crise actuelle au sein de sa direction et de la famille Le Pen, puisqu’aujourd’hui la crise politique globale, touche maintenant, le Front national. Cette crise exprime des intérêts de clans, de cliques, des batailles financières, mais c’est aussi l’expression d’une lutte politique interne. Le Front national n’est pas un parti fasciste comme dans les années trente parce que nous ne sommes pas dans les années trente. L’origine de sa direction est fasciste, ses thèmes nationaux-socialistes reprennent les thématiques classiques de l’extrême droite, la préférence nationale, le racisme anti-immigré et anti-musulman sont au centre de sa politique. Ce n’est pas un parti fasciste, mais n’est pas un parti bourgeois comme les autres. Avec 25 %, il est confronté au problème du pouvoir. Et il y a visiblement un débat violent : il y a le vieux Jean-Marie Le Pen, pour qui l’accès au pouvoir est lié à l’effondrement du système et son remplacement par le mouvement nationaliste. Et il y a une autre stratégie, majoritaire dans le FN, actuellement, autour de Marine Le Pen qui vise à conquérir des positions dans le système pour diviser et exploser la droite traditionnelle afin d’en subordonner une partie importante. Mais ce n’est pas, comme en Italie, un projet à la Gianfranco Fini. Ce dernier, issu du Mouvement social italien, puis créateur de l’Alliance nationale en 1995), a rejoint en 2009 la formation de Berlusconi, Le Peuple de la liberté, avant de s’en séparer en 2010. Il fut ministre des gouvernements Berlusconi II et III.

 

La majorité du FN ne veut pas passer des alliances où elle serait en position subordonnée. Ses dirigeants veulent casser la droite et la remplacer. Du coup, ils sont dans une impasse, car en ne passant pas d’alliances ils ne peuvent franchir un certain seuil, sauf si la crise s’aggrave et que la droite traditionnelle explose. Pour le moment la droite contient cette pression, mais jusqu’à quand ?

 

Le plus préoccupant, au-delà des phénomènes électoraux, est une modification en profondeur de la société française. Tout un système de représentations sociales, culturelles, idéologiques est en train d’exploser. L’individualisme forcené, le rejet des solidarités, le racisme, l’islamophobie, l‘antisémitisme, la guerre des pauvres contre les pauvres avec une dénonciation hystérique de « l’assistanat ». Il y a quelques années, le PCF avait utilisé une formule pour exprimer la montée de phénomènes réactionnaires : « la société vire à droite ». On peut discuter la formule, mais on a un mouvement de ce type qui est la conséquence de la faillite de la gauche. Ainsi, si les manifestations (15 janvier 2015) contre l’attentat qui a frappé « Charlie » (7 janvier) ont suscité une réaction démocratique et humaniste de plusieurs millions de personnes dans les rues du pays. Cela ne s’est pas traduit par une baisse du racisme. Les réactions, favorisées par l’attitude des gouvernements et de l’Union Européenne, face aux migrants en Méditerranée, enregistrées dans les enquêtes d’opinion sont assez terribles. Elles montrent bien le degré « d’inhumanité » atteint dans des secteurs de la population.

 

 

- Des pistes pour une alternative anticapitaliste

« Vous ne voulez plus des classes ni de leur lutte ? Vous aurez les plèbes et les multitudes anomiques. Vous ne voulez plus des peuples ? Vous aurez les meutes et les tribus. Vous ne voulez plus des partis ? Vous aurez le despotisme de l’opinion ! »

Daniel Bensaïd, Éloge de la politique profane

 

Et dans ce cadre quelle est la situation du mouvement ouvrier : une dégradation du rapport de forces. Les courbes de la lutte de classes sont déclinantes. Nous sommes, aujourd’hui, en France, à un des points les plus bas depuis les années 1960. Les effectifs des organisations syndicales et des partis de gauche – toutes tendances confondues – reculent. La CGT (Confédération générale du travail), première organisation syndicale du pays, a connu une énorme crise de direction autour de problèmes de corruption. Pourtant les résistances sociales existent : luttes sur les salaires, sur l’emploi, manifestations d’enseignants, de soignants, des mobilisations écologistes. Toutefois, jusqu’à ce jour, elles n’ont pu bloquer les contre-réformes néolibérales et les attaques patronales. Pourtant, quand tous les verrous politiques et institutionnels sont bloqués, il peut y avoir des explosions sociales, mais comme l’indique la citation de Daniel Bensaïd, le problème, c’est le sens de ces explosions. La lutte de classes continue. Elle est aujourd’hui surtout menée par le patronat. Elle donne lieu à des résistances élémentaires, elle peut donner lieu à de brutales irruptions sociales. Le problème, c’est la traduction politique, en termes de conscience et d’organisation. Et là, il y a un vrai problème, dans la situation actuelle, en France.

 

Différence avec la Grèce et l’Espagne. Il n’y a pas de Syriza ou de Podemos en France, avec bien entendu les différences politiques et historiques entre les deux formations. Depuis 1995, il y a eu trois expériences politico-électorales et j’insiste sur la forme électorale de ces expériences. En 1995 avec Arlette Laguiller et Lutte Ouvrière ; en 2002 et 2007 avec la LCR – puis le NPA – et Olivier Besancenot ; et en 2010-2012, avec le Front de gauche et Jean Luc Mélenchon, qui ont obtenu en 2012 plus de 4, 5 millions de voix. Trois expériences qui ont montré les potentialités de réorganisation politique à la gauche de la gauche, mais aussi leurs limites et leur échec. Cela explique aussi l’espace laissé libre pour le Front National.

 

La gauche radicale est morcelée, en retrait, divisée sur ses rapports au PS. Le PCF s’est relancé avec le Front de gauche, mais il continue à décliner. Il compte moins de 40’000 membres. Il n’arrive surtout pas à rompre avec la direction du PS. Il refuse, certes de suivre le néolibéralisme de François Hollande et Valls, mais il est tout disposé à relancer une « union de la gauche » avec les Verts ou les opposants internes au PS, qui ont voté les principales contre-réformes du gouvernement. Mélenchon occupe une position plus à gauche, plus délimitée, que le Parti socialiste. Mais certaines de ses positions sont dominées par un nationalisme anti-allemand ou des sympathies pour Poutine dans le conflit ukrainien, ce qui complique les conditions pour discuter d’une alternative politique. Comment reconstruire une alternative sociale et politique anticapitaliste ? C’est la difficulté que nous avons, en essayant d’éviter les écueils sectaires ou les adaptations aux forces réformistes de gauche dominantes. Nous tentons d’y répondre :

 

  • par la construction de luttes ou de mobilisations sociales, en essayant d’obtenir des victoires partielles sur des questions sociales, en particulier sur les questions salariales, où il y a eu dans la dernière période, une série de luttes. Le terrain de la lutte démocratique contre tous les racismes comme le combat contre le FN – en particulier contre les effets de ses politiques discriminatoires dans les villes qu’il contrôle – doit être investi par les militant·e·s. En se saisissant de toutes les nouvelles configurations des mouvements sociaux : espaces urbains et pas seulement les usines, places, occupations. Dans les années quatre-vingt-dix, Daniel Bensaïd, mettait en garde contre « l’illusion sociale » et la sous-estimation des questions politiques. Aujourd’hui, tout en nous saisissant de tous les points d’appui politiques et institutionnels, il faut, plutôt se garder des « illusions politico-électorales », et rappeler que tout processus de transformation radicale doit s’appuyer sur l’auto-émancipation des travailleurs, leur auto-organisation, sur l’action directe ;
  • par une politique unitaire dans les luttes comme dans l’action politique pour rassembler toutes les forces qui rompent avec le PS. Ce n’est pas une coquetterie. Dans une situation de confusion, de rejet du PS, il faut, en même temps avancer un programme d’urgence anti-austérité à dynamique anticapitaliste et une démarcation nette vis-à-vis du PS, même si c’est difficile.
  • Nous n’avons pas d’expérience de type Syriza ou Podemos – même si, nous le soulignons, ces deux phénomènes ne sont pas identiques –, mais il y a une idée forte, c’est la nécessite de reconstruire un mouvement social et politique, neuf, extérieur aux vieilles organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, une nouvelle représentation politique. Cela passe par une série d’action et de débats unitaires auxquelles nous ne sommes pas toujours préparés ou qui sont refusés par les sectaires.

 

 

- Eléments de conclusion…

La conjonction de la longue durée de la contre-réforme néolibérale commencée à la fin des années 1970 – approfondie avec la crise de 2008 —, les destructions du stalinisme, les effets du « bilan du siècle » pour le mouvement ouvrier, toutes tendances réunies, la réorganisation très partielle d’un nouveau mouvement, ses différenciations, ses fragmentations, tout cela concourt à la fin du mouvement ouvrier historique. Cela est lié à la fin d’un type de capitalisme qui a modelé ce mouvement ouvrier durant des décennies, d’une certaine manière à la fin d’une époque… Pas à la fin de la lutte de classes, qui continue, mais qui produira de nouvelles expressions, de nouvelles organisations, avec le croisement de segments de l’ancien et du nouveau.

 

Il faut donc participer à la reconstruction, dans une conjoncture de dégradation des rapports de forces, mais surtout dans une période historique transitoire, instable, dans une situation du « déjà plus » – le capitalisme d’après-guerre, le mouvement ouvrier du siècle dernier — et du « pas encore », des luttes sociales et politiques d’ampleur qui produisent de la politique mais surtout de nouvelles expériences de construction de mouvements sociaux et politiques.

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10 juin 2015 3 10 /06 /juin /2015 08:05
Combien vaut la vie d’un Noir en Amérique ?

Source : Parti de Gauche Midi-Pyrénées par Sylvie LAURENT[1 17 mai 2015

- C’est lorsqu’il s’installa à Chicago, en 1966, pour y dénoncer le racisme systémique que l’étoile de Martin Luther King commença à pâlir dans l’opinion publique.

Tant qu’il s’évertua à combattre les pratiques féodales d’un vieux Sud malade, il fut un héros. Mais qu’il s’installa dans un ghetto de Chicago pour y dénoncer l’exploitation économique, culturelle et sociale systématique des Noirs des taudis urbains, et qu’il osa défiler dans les banlieues blanches pour dénoncer la logique d’apartheid sonna le glas de sa popularité. Lorsqu’il parla, après Malcolm X, du « colonialisme interne » pratiqué par les Etats-Unis à l’endroit de leurs Noirs, indigènes humiliés et aliénés, maintenus sous le joug tels les Algériens ou les Vietnamiens, ce fut la vérité de trop. Ses alliés traditionnels, les progressistes éduqués du Nord, persuadés d’être immunisés contre toute pratique raciste, n’entendaient pas que l’on vienne ainsi mettre en cause leur police, leurs promoteurs immobiliers, leurs juges et leur complaisance. Martin Luther King ne fut pas surpris : « Cela n’a pas coûté un centime à l’Amérique de désagréger les restaurants du Sud, et de nous rendre le droit de vote. Mais maintenant, il va lui falloir payer très cher pour la justice réelle, celle qu’elle doit aux Noirs. C’est maintenant que les difficultés commencent. »

 

Le 5 mai, la ville de Chicago a ordonné le versement de 5 millions de dollars de dédommagements à plus d’une centaine d’Afro-Américains, victimes d’un tortionnaire assermenté, Jon Burge, chef de la police de la ville qui officia de 1972 à 1991. Général Aussaresses du South Side (quartier noir de la ville, Burge se livra sur les prévenus de couleur à qui il voulait extorquer des aveux aux méthodes les plus odieuses, de l’usage de la gégène sur les parties génitales à l’étouffement simulant la mort en passant par le fracassement des dents et les brûlures. Ces lynchages modernes, exercices de dépersonnalisation constitutifs du sujet colonial, participent, en effet, d’une logique impériale dont nous avons le spectacle éloquent lorsqu’à chaque « émeute raciale », chars d’assaut et armes de guerre sont déployés pour patrouiller en territoire ennemi.

 

 

- L’aveu du crime n’est, certes, pas encore la justice.

Jon Burge est non seulement resté en poste près de vingt ans, mais il touche toujours sa retraite, lui qui a échappé à une condamnation significative malgré l’établissement des faits. S’il fit quatre ans de prison, ce fut pour entrave à la justice et parjure, jamais pour torture. L’ancien soldat et son équipe de bourreaux n’ont été poursuivis qu’en 2010, lorsque fut révélé, par la presse, qu’ils se livraient à ces pratiques interrogatoires barbares dans une base secrète dite « Homan Square ». Le versement de cette indemnité, dérisoire au regard des faits et loin de tenir lieu de véritable réparation morale, sera néanmoins sans doute suivie d’excuses publiques et de l’inauguration d’un Mémorial, signes d’une reconnaissance officielle que la torture d’Etat fut bel et bien pratiquée.

 

 

- On revient de loin.

L’impunité de la police de Chicago est ancienne, liée au paternalisme démocrate d’un Richard Daley, maire de la ville de 1955 à 1976 qui, après avoir fait échouer la campagne de King en 1967, coopta suffisamment de Noirs à sa solde pour masquer sa duplicité raciale. Son fils, maire de 1989 à 2011 et parrain du jeune Obama, fut l’ami de l’establishment noir mais le spectateur passif d’une ville toujours plus inégalitaire et ségréguée. Depuis peu, c’est Rahm Emanuel, ancien proche conseiller du Président, qui officie à la mairie. Tiède, longtemps silencieux sur l’affaire Burge qu’il observa prudemment de loin, il est comme ses prédécesseurs soucieux de consensus. Il se félicite de la victoire arrachée par les activistes qui espèrent que cette « réparation » partielle et symbolique soit les prémices d’une justice véritable, celle qui coûtera vraiment. Un même espoir est partagé dans les communautés noires des quatre coins du pays, qui croient moins aux vertus d’une nouvelle enquête fédérale sur la fréquence des agissements policiers racistes ici ou là qu’à l’action collective de la rue, combat éternel du pot de terre contre le pot de fer qui seul contraint le pouvoir à la justice.

 

 

- Combien vaut la vie d’un Noir ?

Le philosophe américain Michael Sandel s’inquiète de la marchandisation généralisée à l’œuvre dans son pays, où l’on peut même monétariser la morale. Il est difficile, en effet, de ne pas s’indigner lorsque la transaction de marché tient lieu de justice. Si la torture pratiquée sur Freddie Gray à Baltimore lui fut fatale, des dizaines de valeureux survivants avaient obtenu des dédommagements, estimés à 6 millions de dollars depuis 2011, pour être restés tétraplégiques, malvoyants ou malades mentaux après leur rencontre funeste avec la police. Dans nombre de villes américaines, cette ligne de budget, payée par le contribuable, est une dépense collatérale prévue par l’administration pour de telles pratiques policières. Rien qu’en 2014, Chicago a versé 50 millions aux familles de plaignants, arrangement financier évitant le scandale et la réforme.

 

Mais cette fois, la décision de la ville de Chicago de « compenser » pour le préjudice subi par une partie des victimes n’est pas qu’une tentative de plus pour acheter la paix sociale. Elle est la victoire des enfants de King, ces dizaines de militants des droits civiques qui ont inlassablement mené le combat contre Burge et ses puissants soutiens. Depuis des décennies, de la tribune des Nations unies aux tribunaux de l’Illinois, ils ont martelé et obtenu que – et c’est le nom de la principale organisation en lutte aujourd’hui – la vie d’un Noir compte (#BlackLivesMatter).

 

L’administration actuelle clôturera son passage dans l’histoire contemporaine des Etats-Unis par un bilan racial saisissant : un recul indéniable de la condition des Noirs et des Hispaniques, de leurs droits civiques fondamentaux à leur situation économique, et un réveil démocratique inédit depuis les années 70 des militants de la justice raciale. Ils sont, à ce jour, très seuls. Personne n’a jamais pensé que l’actuel président des Etats-Unis, qui n’ignore rien des affres du South Side, serait un épigone de Martin Luther King ou même qu’il serait un Lyndon B. Johnson. Il lui reste néanmoins la possibilité de ne pas être un Daley Jr. qui, bienveillant mais spectateur passif, sera comptable d’une nation plus que jamais malade – comme le disait King – du racisme, de l’impérialisme et des inégalités.

 

Note :

[1] Sylvie Laurent est américaniste, chercheure associée à Harvard et Stanford, professeure à Sciences-Po. Son dernier ouvrage : Martin Luther King, une biographie, Le Seuil, 2015.

 

Pour en savoir plus :

- Etats-Unis : la police aurait abattu 385 personnes depuis début 2015

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9 juin 2015 2 09 /06 /juin /2015 08:08
"L’Europe se désagrège et personne ne sait quel sera le premier domino à tomber"
  • Grèce, Royaume-Uni, l'Union européenne craque de toutes parts.
  • Pour Coralie Delaume, auteur de l'essai "Europe. Les États désunis" (Michalon), l’UE se délite en raison de ses propres règles.
  • Pour l'animatrice du blog "L'Arène nue", ça ne fait en effet aucun doute : la crise que traverse l'UE trouve en effet ses fondements "dans les choix mêmes des pères fondateurs de l’Union européenne".
  •  

    Source : Marianne

    - Marianne : La situation actuelle de l’Union européenne était-elle selon vous écrite de longue date ?
    Coralie Delaume : La crise que connaît l’Europe actuellement est une crise à la fois économique et démocratique. La première était prévisible au moins depuis la création de l'euro. La seconde trouve son origine très en amont, dans les choix mêmes des pères fondateurs de l’Europe. Ceux-ci ont fait le choix dès le début de mettre sur pied non une Europe politique mais une Europe technique, supposée devoir générer des solidarités de fait.


    C’est ce que l’on a appelé la « méthode des petits pas » de Jean Monnet, qui consistait à imbriquer des secteurs précis de plus en plus nombreux, et à mettre les peuples devant le fait accompli. Une sorte de « fédéralisme furtif » si l'on veut. Il n'y a jamais eu de grande ambition démocratique là derrière, au contraire. Une ponction lente des prérogatives des nations pour les transférer à des échelons supranationaux ne pouvait qu'aboutir à terme à un déficit démocratique. Le choix de la supranationalité plutôt que la coopération traditionnelle entre nations européennes — par la voie simple de la diplomatie classique — portait nombre de problèmes en germe.


    Pour ce qui est de la crise économique, on trouve l'une de ses sources principales dans la création de la monnaie unique. Le partage d'une même monnaie par des pays aux structures économiques très différentes, la mise en place d'une monnaie fédérale sans Etat fédéral auquel s'adosser, était voué à l'échec. Au lieu de les faire converger, l'euro a contribué à faire diverger les différentes économies, notamment en imposant aux pays d'Europe du Sud un fonctionnement « à l’allemande » fait de rigueur budgétaire et d'inflation quasi nulle, qui ne leur convient pas. 

     

    "On parle encore de “couple franco-allemand” mais on devrait davantage parler d'une servitude volontaire de la France"

     

     

     

     

    - Marianne : Le vrai risque d’un départ du Royaume-Uni de l’Union européenne ne serait-il pas celui d’une étendue de la domination économique allemande sur le continent européen ?

    Coralie Delaume : Cela renforcerait en effet sa centralité économique, politique, géographique. La relation franco-allemande est désormais très déséquilibrée. On parle encore de « couple » mais on devrait davantage parler d'une servitude volontaire consentie par de la France vis-à-vis de l’Allemagne.


    Un départ éventuelle du Royaume-Uni est une chose, mais on voit bien globalement que toute les nations dites « périphériques » sont actuellement la proie de tensions centrifuges. On le voit bien avec la Grèce par exemple. L'Allemagne deviendrait évidemment le pivot d'une Union européenne réduite au noyau central.

     

     

    - Marianne : La crainte de perdre un nouveau pays peut-il amener les institutions européennes à adopter une attitude plus conciliante dans ses négociations avec le gouvernement d’Alexis Tsipras ?
    Coralie Delaume : Non, je n'en suis pas convaincue. « Les Européens » pourront tenter de faire des concessions mineures pour se laisser le temps de voir venir. C'est ce que fait d'ailleurs la BCE, contrainte et forcée. Au départ, elle a cru pouvoir faire mettre le gouvernement Tsipras à sa merci en fermant aux banques grecques l'accès au refinancement normal. Du coup, ces banques se refinancement uniquement via l'accès à la liquidité d'urgence (ELA). Mais c'est au tour de la BCE d'être à présent coincée, et elle n'en finit plus de devoir relever le plafond de l'ELA, en attendant mieux.


    Il pourrait y avoir éventuellement le déblocage de la dernière tranche de l'actuel plan d’aide, de 7,2 milliards d’euros, ou la négociation d'un troisième plan d'aide à partir de juin. Ou, beaucoup mieux, une restructuration de la dette. Mais là, si la Grèce parvient à obtenir ça, il fait bien voir que ça donnera des idées à d'autres pays. En Espagne par exemple, le parti Podemos ne manquerait pas de faire campagne sur l'idée d'obtenir les mêmes concessions que son parti frère Syriza.


    En tout cas, il faut bien voir que depuis 2008, les décisions économiques qui sont prises constituent un bricolage. Cela permet d’ « acheter du temps », de faire tenir la zone euro, mais ça ne résout pas les problèmes de structure de celle-ci. Et les problèmes économiques deviennent politiques, avec la montée de l’eurosceptisme dans tous les pays. On sent de nombreuses forces centrifuges à l'œuvre. L’Europe se désagrège, et personne ne sait quel sera le premier domino à tomber…

     

    "Entre perdre l'Ecosse et sortir de l'UE, le Royaume-Uni va sans doute devoir choisir... "

     

     

     

     

    - Marianne : L’Union européenne pourra-t-elle accepter dans les futures négociations les mesures revendiquées par le gouvernement Cameron, comme celle du « carton rouge » (c’est-à-dire la dotation aux chambres parlementaires nationales d’un droit de véto sur les décisions de la Commission européenne ne respectant pas le principe de subsidiarité) ?
    Coralie Delaume : Je pense que le Royaume-Uni, souhaite surtout obtenir des concessions. Il est intéressé par le libre-échange avec l'UE, mais souhaite couper un à un les fils qui le relient à la bureaucratie bruxelloise. Peut-être utilisera-t-il également le chantage au « Brexit » pour tenter de faire accélérer les négociations dans le cadre du traité transatlantique ?


    De toute façon, les Anglais ont de la ressource. Ils sont branchés sur tout le monde anglophone, sur leurs anciennes colonies... Après, reste le problème écossais. Les indépendantistes du SNP dominent désormais très largement l'Ecosse. Or il s'agit d'un parti de gauche européiste. Entre perdre l'Ecosse et sortir de l'UE, il va sans doute falloir choisir…

     

     

    - Marianne : Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, a déclaré récemment que « si le gouvernement grec juge nécessaire un référendum sur la question de la dette, alors qu'il le fasse. » Comment interpréter cette nouvelle provocation ?
    Coralie Delaume : Au sein du gouvernement allemand Wolfgang Schäuble semble s'être donné pour rôle de « terroriser » les Grecs. Il fait le « mauvais flic ». Angela Merkel passe derrière pour recoller les morceaux. Elle, c'est le « bon flic ». Un peu comme Varoufakis pour la Grèce, qui va à l’affrontement, avec un Tsipras qui joue ensuite l’apaisement. Mais je pense que si ça ne tenait qu'à Schäuble, tout aurait déjà été fait pour faire obtenir un « Grexit », car il a des convictions ordo-libérales très fortes.


    En réalité, les deux camps doivent avoir compris qu'il n'y a guère d'issue à long terme, mais chacun s'efforce de montrer que l'impasse des négociations est imputable à l'autre.
    Pour ce qui est de la Grèce, il est très probable que Tsipras soit en train de préparer doucement son opinion à une sortie de l'euro. Il lui faut un peu de temps pour montrer qu'il n'y a pas d'autre issue à une opinion encore rétive. Peu à peu, les Grecs réalisent qu'ils ont un mur en fasse d'eux, et l'idée fait son chemin. Aujourd'hui, près de 20% d'entre eux sont favorable à un retour à la drachme. C'est peu, mais on était à moins de 10% avant l'arrivée au pouvoir de Tsipras.

     

    "La tendance lourde, c'est l'absence de croissance dans toute l'Europe, et un approfondissement des divergences entre les pays"

     

     

     

     

    - Marianne : L’agence Eurostat a dévoilé hier sa première estimation du PIB du premier trimestre de l’année 2015, correspondant à une augmentation de 0,4%, couplé à une croissance annuelle de 1% dans la zone euro. Secondé par une croissance en hausse en France, en Italie et en Allemagne, ce rebond signifie-t-il, selon vous, que l’Europe sort la tête de l’eau ?

    Coralie Delaume : Pas du tout, ce sont des soubresauts conjoncturels, de petits rattrapages ou de petites pauses habituelles qui ne signent en rien un retournement de conjoncture. J'avoue que j'ai presque cessé de m’intéresser à ces chiffres. La tendance lourde, c'est l'absence de croissance dans toute l'Europe, et un approfondissement des divergences entre les pays créditeurs et pays débiteurs. Par exemple, l’excédent commercial allemand n'en finit jamais d'augmenter : 217 milliards d'euros en 2014 soit 11% de plus que l'année précédente. Et le chômage reste à 25% en Espagne et en Grèce. Ça oui, c'est spectaculaire, et ça montre des déséquilibres majeurs. La zone euro est profondément mal foutue ! 

     

     

    - Marianne : La situation en Europe en cas d’un « Grexit » et d’un « Brexit » pourrait-elle placer l’Union sous un angle géopolitique instable, avec un Est sous l’œil avide de la Russie de Vladimir Poutine et un forcing des Chinois sur les accords économiques ?
    Coralie Delaume : Je vous avoue que la Russie ne m'inquiète pas, au contraire. Un rapprochement avec la Russie pourrait bénéficier à toute l'Europe, en la rééquilibrant. On ne peut tout de même pas souhaiter une Europe rabougrie, autiste, recroquevillée sur un noyau dur dominé par l'Allemagne. Avec un Royaume-Uni en train de filer en douce et une Russie perçue comme une menace. Le général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe, lui qui appelait de ses vœux une Europe « de l'Atlantique à l'Oural ».


    Mais il faut être vigilant. Car le Royaume-Uni est ouvert a des liens privilégié avec les Etats-Unis. La Russie, elle, a manifesté beaucoup de pragmatisme à la suite des sanctions votées contre elle, en allant chercher d'autres partenariats en Asie. Le dindon de la farce in fine.... ce sera nous ! Il faut retrouver un équilibre sain entre les différentes nations d'Europe, Russie comprise.

     

    Pour en savoir plus :

    - L’abdication

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4 juin 2015 4 04 /06 /juin /2015 08:02
La « guerre mondiale contre le terrorisme » a tué au moins 1,3 million de civils
Révélations Humanité Dimanche. Un rapport publié par un groupe de médecins lauréats du prix Nobel de la paix révèle qu’un million de civils irakiens, 220 000 Afghans et 80 000 Pakistanais ont péri, au nom du combat mené par l’Occident contre « la terreur».
 
Sources :  l'Humanité Dimanche par Marc de Miramon Vendredi, 24 Avril, 2015
« Je crois que la perception causée par les pertes civiles constitue l’un des plus dangereux ennemis auxquels nous sommes confrontés », déclarait en juin 2009 le général états-unien Stanley McCrystal, lors de son discours inaugural comme commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF). Cette phrase, mise en exergue du rapport tout juste publié par l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IP- PNW), lauréate du prix Nobel de la paix en 1985, illustre l’importance et l’impact potentiel du travail effectué par cette équipe de scientifiques qui tente d’établir un décompte des victimes civiles de la « guerre contre le terrorisme » en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.
 
 

- « Les faits sont têtus »

Pour introduire ce travail globalement ignoré des médias francophones, l’ex-coordinateur humanitaire pour l’ONU en Irak Hans von Sponeck écrit: « Les forces multinationales dirigées par les États-Unis en Irak, l’ISAF en Afghanistan (...) ont méthodiquement tenu les comptes de leurs propres pertes. (...) Celles qui concernent les combattants ennemis et les civils sont (par contre) officiellement ignorées. Ceci, bien sûr, ne constitue pas une surprise.


Il s’agit d’une omission délibérée. » Comptabiliser ces morts aurait « détruit les arguments selon lesquels la libération d’une dictature en Irak par la force militaire, le fait de chasser al-Qaida d’Afghanistan ou d’éliminer des repaires terroristes dans les zones tribales au Pakistan ont permis d’empêcher le terrorisme d’ atteindre le sol états-unien, d’améliorer la sécurité globale et permis aux droits humains d’avancer, le tout à des coûts “ défendables ”».


Cependant, « les faits sont têtus », poursuit-il. « Les gouvernements et la société civile savent que toutes ces assertions sont absurdement fausses. Les batailles militaires ont été gagnées en Irak et en Afghanistan mais à des coûts énormes pour la sécurité des hommes et la confiance entre les nations. »


Bien sûr, la responsabilité des morts civils incombe également aux « escadrons de la mort » et au « sectarisme » qui portait les germes de l’actuelle guerre chiitesunnite, souligne l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld dans ses mémoires (« Know and Unknown », Penguin Books, 2011).


Mais comme le rappelle le docteur Robert Gould (du Centre médical de l’université de Californie), l’un des auteurs du rapport, « la volonté des gouvernements de cacher le tableau complet des interventions militaires et des guerres n’a rien de nouveau. Concernant les États- Unis, l’histoire de la guerre au Vietnam est emblématique. Le coût immense pour l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, incluant la mort estimée d’au moins 2 millions de Vietnamiens non combattants, et l’impact à long terme sur la santé et l’environnement d’herbicides comme l’agent orange, ne sont pas encore pleinement reconnus par la majorité du peuple américain». Et Robert Gould d’établir un autre parallèle entre la sauvagerie des Khmers rouges, qui émergeront d’un Cambodge dévasté par les bombardements, et la récente déstabilisation « post-guerre » de l’Irak et de ses voisins, laquelle a rendu possible la montée en puissance du groupe terroriste dit « État islamique »

 

 

- Total estimé à 3 millions

Bien loin des chiffres jusqu’à présent admis, comme les 110 000 morts avancés par l’une des références en la matière, l’« Iraq Body Count » (IBC), qui inclut dans une base de données les morts civils confirmés par au moins deux sources journalistiques, le rapport confirme la tendance établie par la revue médicale « Lancet », laquelle avait estimé le nombre de morts irakiens à 655 000 entre 2003 et 2006. Depuis le déclenchement de la guerre par George W. Bush, l’étude de l’IPPN aboutit au chiffre vertigineux d’au moins 1 million de morts civils en Irak, 220 000 en Afghanistan, et 80 000 au Pakistan. Si l’on ajoute, concernant l’ancienne Mésopotamie, le bilan de la première guerre du Golfe (200 000 morts), et ceux du cruel embargo infligé par les États-Unis (entre 500 000 et 1,7 million de morts), ce sont presque 3 millions de morts qui sont directement imputables aux politiques occidentales, le tout au nom des droits de l’homme et de la démocratie.


En conclusion du rapport, les auteurs citent le rapporteur spécial des Nations unies de 2004 à 2010 sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires: selon Philip Alston, qui s’exprimait en octobre 2009, les investigations sur la réalité des attaques de drones (lire encadré) étaient presque impossibles à mener, à cause de l’absence totale de transparence et le refus des autorités états-uniennes de coopérer. Puis il ajoutait, après avoir insisté sur le caractère illégal au regard du droit international de ces assassinats ciblés, que « la position des États-Unis était intenable». Trois semaines plus tard, Barack Obama recevait le prix Nobel de la paix ...

 

 PENDANT CE TEMPS-LÀ, EN IRAK, EN AFGHANISTAN, AU PAKISTAN...

  • Le 20 avril dernier, la « coalition antidjihadistes » dirigée par les États-Unis indiquait dans un communiqué avoir mené en 24 heures 36 raids aériens contre des positions du groupe « État islamique », dont 13 dans la province d’Al-Anbar, à l’ouest de Bagdad. Combien de « dommages collatéraux » civils dans cette région, l’une des plus touchées par les violences depuis l’invasion de l’Irak en 2003 ?
  • Les communiqués militaires demeurent systématiquement muets sur cette question, alors que plus de 3 200 « frappes » aériennes, selon la novlangue moderne, ont été effectuées depuis le mois d’août 2014 et la prise de Mossoul par l ’« État islamique». Le 18 avril, c’est un attentat-suicide, « technique » de combat inconnue en Afghanistan avant le 11 septembre 2001, qui faisait 33 morts près de la frontière pakistanaise.
  • À la fin du mois de mars, des sources sécuritaires pakistanaises faisaient état de 13 « djihadistes » liés aux talibans tués lors d’une attaque d’un drone états-unien.
  • Près de 10 000 soldats américains sont toujours stationnés en Afghanistan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour en savoir plus sur le même sujet :

- Les frappes aériennes occidentales ont balayé 52 civils syriens en un jour, aucun djihadiste touché

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3 juin 2015 3 03 /06 /juin /2015 08:11
Jean-Luc Mélenchon : La méthode de la convergence citoyenne

Les résultats des élections en Espagne sont très intéressants à étudier pour en faire notre miel. Evidemment, leur premier impact c’est qu’ils contrebalancent la tendance de l’Europe du nord et de l’est que la vague brune domine pour l’instant assez nettement. Dans la partie qui se joue sur le continent, ce n’est pas rien.

Le choc que la Grèce va provoquer dans les prochains jours alimentera les tourbillons en cours de façon imprévue. Cette vue continentale doit nous servir de repère sans nous abandonner au regard pointilliste et superficiel des « commentateurs ». L’essentiel, pour cet épisode, c’est que nous ne soyons pas défaits partout tout le temps.

 

Source :  le blog de Jean-Luc Mélenchon

- La mémoire collective des Espagnols contient l’expérience des puissants mouvements des Indignés (appelés comme ça par les commentateurs français) et davantage encore par les « marées citoyennes ».

Mobilisations par thèmes tels que : éducation, santé, mines, sans oublier les mouvements locaux contre les confiscations, les expulsions et ainsi de suite… Dans ce cas, « fédérer le peuple », comme j'en ai repris la formule, c’est fédérer des mots d’ordre et des populations mobilisées autour d’eux. Rien à voir avec le traditionnel « rassemblement de la gauche » qui enferme dans les tractations entre états-majors et surtout oblige aux vieilles gesticulations de « mise au pied du mur », « l’union est un combat », qui sont autant de phases devenues des rites confinés et autodestructeurs. La préparation des élections régionales et locales d’Espagne a été un processus d’une toute autre nature. Je donne le lien vers le récit qu'en fournit Manuel Bompard sur son blog. Manu est secrétaire national du PG, militant dans le grand sud-ouest. Il fait partie de la génération la plus engagée dans la méthode des convergences citoyennes qu’il applique en grand dans son secteur. Ce n’est un secret pour personne que l’équipe du PG s’implique de très près dans l’étude et le partage avec les militants espagnols qui constituent la nouvelle nébuleuse alternative. On ne compte plus les allers et retours des uns et des autres et les participations croisées de chacun d’entre nous à des « évènements » montés de chaque côté des Pyrénées. Exactement comme nous le sommes avec les Tunisiens par exemple aussi. De nos jours il est possible d’avoir un haut niveau d’intégration de l’activité politique internationale quand on en a la volonté politique. Nous l’avons, et les cadres du PG circulent beaucoup, à tous les niveaux de l’organisation. Je le mentionne pour signaler l’existence d’une culture commune en cours de construction avec tout ce que cela implique de doutes, d’hésitations et de fulgurances aussi.

 

 

- Pour autant, le processus électoral de cette fin de semaine si magnifique ne peut être réduit à la seule percée de Podemos.

Le dire n’enlève rien à celle-ci car elle est bien réelle et en ce sens digne de tout notre intérêt. Il faut aussi considérer cette percée dans son ampleur. Car nul ne peut oublier que Podemos est, à l’origine, une scission de Izquierda Unida, l’équivalent du Front de Gauche en France. Je résumerai le motif de cette séparation en disant que l’équipe initiale de Podemos rejetait l’hégémonie du PCE (Parti communiste espagnol) sur Izquierda Unida et son approche trop « conventionnelle » dans la situation politique espagnole. Pour ma part, je suis resté lié aux deux groupes sachant que les faits trancheraient entre eux quant à la stratégie et que nous pourrions éventuellement être utiles à des rapprochements ultérieurs. Podemos ne s’est pas trompé sur son intuition. Ses résultats en attestent. Izquierda Unida doit intégralement se refonder pour être utile à la phase suivante. Ou bien elle sera rayée définitivement de la carte.

 

 

- Mais Podemos est lui aussi tributaire de plus grand que lui : le processus de révolution citoyenne en Espagne.

Dès lors, il faut noter que le résultat des listes municipales est très nettement plus large que celui des listes « pure Podemos » aux élections des autonomies. Les listes aux municipales ont été préparées dans une démarche citoyenne ample de longue durée de maturation. Certes, elles tirent leur dynamique et leur maturité de l’onde longue d’expérience portée par les marées citoyennes et les organisations de résistances civiques. Mais le processus concret de mise en œuvre de la démarche citoyenne a été une contribution permettant de transformer l’essai, c’est-à-dire le passage d’un mouvement informel à la phase où une liste ordonnée va le représenter. Cela peut paraître abstrait. Mais c’est une question terriblement brulante dans l’activité pratique.

 

 

- A son exemple, ou en même temps, nombre de nos amis ici ont commencé en France le même processus.

Il a été surtout expérimenté à échelle large, pour la première fois, dans les élections départementales. On ne partait pas de rien. Au contraire, on avait un exemple. Nous avons fait le bilan de ce qu’a été concrètement, sur le terrain, l’expérience de la campagne de Grenoble. A présent, nous sommes engagés dans la même méthode un peu partout dans le pays en vue des élections régionales. Naturellement tout cela est passé, passe, et passera sous les radars. Tant mieux. Des processus aussi délicats ne peuvent se construire sous la lumière déformante des spots.

 

 

- Les difficultés ne manquent pas.

D’abord celles qu’importent dans ce genre de construction la vie des organisations petites et grandes du monde politique conventionnel. En Espagne, la question de la rupture avec le PS a été réglée par les démarches citoyennes depuis le début, alors qu’en France elle traîne encore. En Espagne, la question de la convergence pratique des partis et des citoyens s’est réglée dans l’action. Incluse la question de la présentation des candidats qui n’est pas la chose la plus simple à mettre en œuvre. En France, si l’on met de côté l’engagement du PG, aucun parti en tant que tel n’accepte nationalement d’aider sans contrepartie les convergences citoyennes. Ce qui n’empêche pas, sur le terrain, que la démarche soit accompagné par des organisations très différentes. PG, Nouvelle Donne et EELV se trouvent souvent ensemble sur le terrain dans ce genre de démarche. Parfois, certaines structures du PCF s’y intègrent aussi. Mais le plus important est la façon avec laquelle se mène et s’organise la mise en place des « appels citoyens ». Il s’agit de leur réunion concrète, depuis leur mise en ligne sur la toile jusqu’à la constitution « d’assemblée représentatives » de l’ensemble des personnes qui soutiennent. Moment clef que celui où il s’agit de confier la conduite des opérations et les décisions politiques qui vont avec. Ce moment contient toute la difficulté de la mise en œuvre.

 

 

- J’ai pris le temps d’entrer dans les détails de la mise en œuvre plutôt que d’approfondir l’analyse du résultat électoral espagnol lui-même.

C’est que je me sens en campagne pour faire avancer une idée qui est en même temps une stratégie politique de conquête du pouvoir. En publiant « L’Ère du peuple », je voulais vulgariser les fondements de la théorie de la révolution citoyenne en tant que cadre d’analyse de la réalité de la fin du monde néolibéral en cours de route selon moi. Je dois dorénavant la détailler comme pratique concrète à mesure des évènements. Car rien ne me paraît plus vain que ces innombrables appels et autres déclarations en vue d’une « refondation de la gauche » qui se répètent et se concurrencent sans le début du commencement d’une mise en œuvre. Même quand ils viennent de nos rangs au Front de Gauche. Comment expliquer que depuis janvier soit sur la table la proposition de former une assemblée représentative du Front de Gauche sans que l’idée ait avancé d’un mètre ni reçu de réponse ? Comment expliquer que la proposition de former des listes à partir d’appels citoyens et d’assemblées représentatives des signataires ne puisse se réaliser qu’à la base et quasiment dans le silence des sommets ?

 

 

- Dans les faits, la démarche des convergences citoyennes pour les régionales est une opération concrète de reconstruction à partir de l’action.

Et des élections. Ce point n’est pas un détail. La question que se posent les démarches citoyennes ce n’est pas la qualité du texte à rédiger, son contenu complet et la vérification de la présence de tous les mantras de notre gauche. C’est de convaincre un maximum de gens de s’associer à un objectif politique commun. La preuve du pudding, comme on le sait, c’est qu’on le mange. La preuve de l’intérêt pour Podemos et les citoyens espagnols c’est qu’on en fasse autant qu’eux.

 

 

- L’Espagne, et la Grèce, en ce qui nous concerne, cela n’a rien à voir.

On y voit mises en œuvre les deux thèses qui animent un vrai débat entre les membres de la nouvelle gauche mondiale. Sous le choc des politiques néo-libérales les sociétés cherchent un nouveau leadership politique. Verrouillés par l’alternance des deux partis qui font la même politique, nos sociétés se dirigent vers un point « qu’ils s’en aillent tous » dans des formes et avec des mots d’ordre différents selon les pays. Dans cet entre-deux, comment avancer une alternative ? En organisant une confrontation dans la forme traditionnelle partis contre partis ou en misant sur des mouvements populaires de base de récupération du pouvoir citoyen. Ou un mix des deux. Cette question ne peut recevoir de réponse « à froid ». Elle trouve sa réponse dans les événements concrets, la mémoire collective et les traditions politiques de chaque pays ou même de chaque zone dans un pays. La formule Syriza repose sur une alliance puis une fusion d’un large arc de partis d’abord seulement coalisés. Cela est impossible en France car le Parti communiste (mais peut-être n’est-il pas le seul réellement) ne veut pas d’une telle fusion qu’il considère comme une dissolution de son identité après 90 ans d’existence contre vents et marées. Pourrait-on envisager des fusions partielles ? La proposition du PG dans ce sens n’a reçu que des fins de non-recevoir de tous ses partenaires dans le Front de Gauche. La formule Syriza dans cet aspect n’aura donc pas lieu en France. Mais le Front de Gauche peut-il y pourvoir à sa place ? C’est peu probable. Le Front de Gauche a manqué son rendez-vous en se noyant aux municipales.

 

 

- Pour autant, le Front de Gauche existe.

Il représente un repère respecté pour de très nombreuses personnes et électeurs. Dans plusieurs départements, l’intégration des composantes est très avancée. L’action collective est constante. Mais ailleurs, ça se passe très mal et les plaies électorales saignent toujours. Reste que le Front de Gauche existe et c’est sans doute le plus beau levier dont nous disposons à cette heure. Peut-il capter une dynamique du terrain ? C’est possible s’il va au bout de l’analyse de ce qui vient de se passer en Espagne et de ce qui est en cours en France même. L’avenir du Front de Gauche est son dépassement dans un mouvement plus large au service duquel il doit se placer. Ce mouvement doit s’ancrer dans la participation citoyenne. Comment faire ? Voir plus haut.

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2 juin 2015 2 02 /06 /juin /2015 08:18
Le révélateur grec

L’Union européenne se prévaut des plus hautes valeurs. De par la voix de ses dirigeants comme de ceux de ses pays membres elle affirme représenter la démocratie, la liberté et la paix. Pourtant, elle en donne concrètement une image bien différente. Non seulement elle viole ses propres valeurs à de multiples reprises, mais elle développe une idéologie qui se trouve à l’opposé, en réalité, des valeurs qu’elle prétend incarner.

L’Union européenne prétend instaurer des règles communes et des solidarités entre les pays membres, et même au-delà ; les faits démentent tragiquement, et ceci de plus en plus, les idées de solidarité même en son sein. Le budget communautaire, pourtant réduit à moins de 1,25% du PIB, est appelé à se réduire encore.

Ces deux contradictions alimentent la crise à la fois politique et économique que connaît l’UE. Elles en minent les fondements et obscurcissent de manière considérable l’avenir.

 

Sources : Le Carnet de Jacques Sapir sur la Russie et l'Europe par Jacques Sapir

- Le révélateur grec.

Le traitement infligé à la Grèce est un bon exemple de la réalité des pratiques au sein de l’Union européenne ; ajoutons qu’il n’est hélas pas le seul. Mais, il sert de révélateur et il expose l’hypocrisie profonde de la construction européenne.

 

Rappelons les faits : la Grèce a connu une crise de la dette souveraine au début de 2010, dont les conséquences risquaient d’être couteuses pour les banques des principaux pays européens qui avaient prêté, en toute connaissance de cause et en raison de taux d’intérêt hautement rémunérateurs, à ce pays. Les différents plans qualifiés « d’aide » à la Grèce n’ont eu pour raison d’être que d’éviter un défaut afin de permettre aux banques privées, essentiellement françaises et allemandes, de se dégager et revendre les titres grecs qu’elles avaient achetés. Ces plans « d’aide » ont considérablement alourdie la dette. Ils ont eu pour contrepartie des plans d’austérité, mis en œuvre par ce que l’on a appelé la « Troïka », c’est à dire la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fond Monétaire International. Ces plans d’austérité ont à leur tour provoqué une crise économique et sociale de grande ampleur en Grèce, avec un taux de chômage de plus de 25%, une paupérisation galopante, et une destruction du système de protection sociale. Cette austérité a été imposée à la Grèce par des équipes d’experts envoyés par la « Troïka » qui sont venu s’installer dans les ministères et qui ont alors dicté leurs conditions.

 

A bout de force, mais aussi à bout de patience, exaspérés par l’humiliation permanente que représentait la présence des experts de la « Troïka », les électeurs grecs ont, le 25 janviers 2015, envoyés un message très clair : la population refuse l’austérité pour le compte des banquiers de Francfort ou de Paris. En portant au pouvoir une parti de gauche dont le programme promettait de mettre fin à cette austérité, tout en engageant des réformes que les autres gouvernements, tant socialistes (PASOK) que de centre-droit (Nouvelle Démocratie) s’étaient toujours refusées à faire, comme une réforme de l’assiette de l’impôt et de l’administration. Les dirigeants de SYRIZA ont décidé, pour tenter de mener à bien leur programme, de s’allier avec un parti de droite les « Grecs Indépendante ». Il faut ici rappeler que An.El est certes un parti de droite, mais d’une droite que l’on qualifierait de républicaine en France. Ce parti a d’ailleurs de bonnes relations avec Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan. Il ne s’agit donc pas d’un parti d’extrême-droite comme le bave le triste sire Colombani[2]. Ils auraient pu s’allier avec un parti centriste, explicitement pro-européen (To Potami ou La Rivière) ou avec les débris du partit socialiste, le PASOK. Ils ont fait un choix qui n’apparaît étrange qu’à ceux qui ne comprennent pas l’enjeu de la souveraineté.

 

Loin de se réjouir de l’arrivée au pouvoir d’un parti, puis d’une coalition, décidé à aborder de front les problèmes structurels de la Grèce[3] qui s’appellent corruption, clientélisme et népotisme, l’Union Européenne n’a eu de cesse que de vouloir casser ce gouvernement, de lui imposer un autre programme que celui sur lequel il a été élu. Ce faisant, elle montre son total mépris de la démocratie dont ses dirigeants par ailleurs se gargarisent. Quelle que soit l’issue de la crise actuelle, que l’on ait un mauvais accord, un défaut, voir une sortie de l’Euro de la Grèce, l’attitude odieuse de l’Union Européenne restera dans les mémoires de tous les européens, mais aussi des autres. On découvre ici que l’Union européenne ne se comporte pas autrement que feu l’Union soviétique en imposant une théorie de la souveraineté limitée comme ce fut le cas à Prague en août 1968. Ce faisant, elle montre le peu de cas qu’elle fait de la démocratie. Si une communauté politique n’est plus maîtresse de son destin, il ne peut y avoir de démocratie en son sein. Si l’on en veut une preuve, rappelons cette citation de Monsieur Jean-Claude Juncker, le successeur de l’ineffable Barroso à la tête de la commission européenne : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». C’est l’affirmation tranquille et satisfaite de la supériorité d’institutions non élues sur le vote des électeurs, de la supériorité du principe technocratique sur le principe démocratique.

 

 

- Une nouvelle lecture de l’Union européenne.

Ce révélateur grec incite alors à relire les autres actions de l’Union européenne.

 

Que ce soit sur les négociations commerciales internationales, qu’elle mène dans l’opacité la plus totale comme c’est le cas avec le Traité Transatlantique, que ce soit sur la question des OGM ou elle impose aux consommateurs européens des produits dont ils ne veulent pas pour le plus grand profit d’un géant de l’industrie nord-américaine, MONSANTO pour ne pas le nommer.

 

Que ce soit sur la question de la solidarité entre les pays membres. L’Italie a été laissée seule pour gérer la catastrophe humanitaire provenant de l‘intervention franco-britannique en Libye qui a abouti à la mort de Kadhafi. De même, la Grèce a été laissée bien seule pour faire face aux flux migratoires qui viennent de Turquie et du Moyen-Orient. De son côté, la France a été laissée quasiment seule dans la lutte contre l’islamisme radical au sud-Sahel (Mali, Niger) au moment où la Commission européenne lui demande de faire plus d’économie. Les fonds structurels, qui eurent un effet de modernisation important sur des pays comme le Portugal et la Grèce, sont aujourd’hui réduit à la portion congrue. Le budget de l’Union européenne, déjà dérisoire avec 1,23% du PIB, est appelé à être encore réduit, sous la pression combinée de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, dans les prochaines années.

 

Sur tous ces terrains on voit un recul profond avec les pratiques des années 1970 et 1980, quand on ne parlait pas d’Union européenne mais, plus simplement, de « Marché Commun » ou Communauté Economique Européenne. Ce recul s’accompagne d’une montée aux extrêmes dans le discours. Plus l’UE s’éloigne des principes de solidarité et de démocratie, plus elle en parle. Plus elle opprime les peuples des pays membres, plus elle se présente en libérateur pour les autres. On en a eu un tragique exemple avec la crise ukrainienne, où le comportement irresponsable de l’UE n’a pas été pour rien dans le déclenchement de la crise.

 

Dès lors, on voit bien la logique d’oppression où tombe l’UE de par sa volonté de nier le principe de souveraineté.

 

 

- Une théorisation des thèses européistes et sa critique.

Un auteur hongrois, largement encensé par les institutions européennes, a voulu produire une réfutation du rôle fondamental de la Souveraineté, tel qu’il émerge des travaux de Bodin et de Jean-Jacques Rousseau. De ce point de vue Andras Jakab peut être considéré comme un idéologue du pouvoir européiste. Ses thèses sont parfaitement convergentes avec le discours tenu par l’Union Européenne. Jakab, après une analyse comparée des diverses interprétations de la souveraineté, avance pour le cas français que : « La souveraineté populaire pure fut compromise par un abus extensif de referenda sous le règne de Napoléon Ier et de Napoléon III, la souveraineté nationale pure ayant été perçue comme insuffisante du point de vue de sa légitimation[4] »

 

C’est soutenir qu’un abus pervertirait le principe ainsi abusé. Mais il ne peut en être ainsi que si l’abus démontre une incomplétude du principe et non de sa mise en œuvre. Viendrait-il à l’esprit des contemporains de détruire les chemins de fer au nom de leur utilisation par le Nazis dans la destruction génocidaire des Juifs et des Tziganes ? Or, ceci est bien le fond du raisonnement tenu par Jakab. Pourtant, il est loin d’être évident dans l’usage politique fait du plébiscite que cet usage soit le seul possible. Si un plébiscite est bien un instrument non-démocratique, tout référendum n’est, fort heureusement, pas un plébiscite. La confusion établie par l’auteur entre les deux notions est très dangereuse et pour tout dire malhonnête. La pratique qui consiste à assimiler référendum et plébiscite, car c’est de cela dont il est question dans le texte, est une erreur logique. La discussion se poursuit sur la portée qu’il faut attribuer à la décision du Conseil Constitutionnel concernant la Nouvelle Calédonie où il est dit que « la loi votée… n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution »[5]. Ici encore, on pratique de manière volontaire la stratégie de la confusion. Ce que reconnaît le Conseil Constitutionnel, en l’occurrence, c’est la supériorité logique de la Constitution sur la Loi. Ce n’est nullement, comme le prétend à tort Jakab l’enchaînement de la souveraineté. En fait, dire que le processus législatif doit être encadré par une Constitution ne fait que répéter le Contrat Social de Rousseau[6]. Ce qui est en cause est bien le parti pris de cet auteur est de refuser ou de chercher à limiter le concept de Souveraineté. Il fait appel pour cela aux travaux de Hans Kelsen[7]. On sait que, pour ce dernier, le droit d’un État est subordonné au droit international, ce dernier existant de manière implicite à travers un système de « lois naturelles » qui seraient propre à la condition humaine, servant alors de normes pour le droit des États.

 

Mais, on peut considérer que le Droit International découle au contraire du Droit de chaque État, qu’il est un Droit de coordination[8]. C’est la logique développée par Simone Goyard-Fabre[9]. Andras Jakab se voit alors obligé de reconnaître que : « malheureusement, du point de vue de la définition de la notion, la souveraineté comme telle n’est définie dans aucun traité international (peut-être parce qu’un accord sur cette question serait impossible »[10]. Il ajoute quelques lignes plus loin : « Mais l’acceptation totale du premier droit du souverain, c’est-à-dire l’exclusivité, n’est pas satisfaisante vu les défis nouveaux, notamment la mondialisation »[11]. Ce faisant il glisse, dans le même mouvement, d’une position de principe à une position déterminée par l’interprétation qu’il fait – et que l’on peut réfuter – d’un contexte. Cette démarche a été critiquée en son temps par Simone Goyard-Fabre : “Que l’exercice de la souveraineté ne puisse se faire qu’au moyen d’organes différenciés, aux compétences spécifiques et travaillant indépendamment les uns des autres, n’implique rien quant à la nature de la puissance souveraine de l’État. Le pluralisme organique (…) ne divise pas l’essence ou la forme de l’État; la souveraineté est une et indivisible“[12]. L’argument prétendant fonder sur la limitation pratique de la souveraineté une limitation du principe de celle-ci est, quant au fond, d’une grande faiblesse. Les États n’ont pas prétendu pouvoir tout contrôler matériellement, même et y compris sur le territoire qui est le leur. Le despote le plus puissant et le plus absolu était sans effet devant l’orage ou la sécheresse. Il ne faut pas confondre les limites liées au domaine de la nature et la question des limites de la compétence du Souverain.

 

On comprend bien, alors, que cette démarche a pour objet, consciemment ou inconsciemment, de nous présenter le contexte comme déterminant par rapport aux principes. La confusion entre les niveaux d’analyse atteint alors son comble. Cette confusion a naturellement pour objet de faire passer pour logique ce qui ne l’est pas : la subordination de la Souveraineté. Or, cette subordination est contraire aux principes du droit. Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que l’article de Jakab ait reçu tant de distinctions des institutions de l’Union Européennes.

 

 

- La souveraineté et les traités internationaux.

Les tenants de l’européisme avancent alors l’hypothèse que les traités internationaux limitent la souveraineté des États. On considère alors qu’ayant acquiescé au Traité de Maastricht, les pays membres de l’Union européenne se sont dessaisit d’une partie de leur souveraineté. Les traités sont en effet perçus comme des obligations absolues au nom du principe Pacta sunt servanda [13].

 

Mais, ce principe peut donner lieu à deux interprétations. Soit ces traités ne sont rien d’autre qu’une mise en œuvre d’un autre principe, celui de la rationalité instrumentale. Il implique donc de supposer une Raison Immanente et une complétude des contrats que sont les traités, deux hypothèses dont il est facile de montrer la fausseté, mais dans lesquels on retrouve la trace de la Grundnorm de Kelsen[14], déshabillée de ses oripeaux religieux. Mais, nul traité n’est rédigé pour durer jusqu’à la fin des temps. Soit on peut aussi considérer que ce principe signifie que la capacité matérielle des gouvernements à prendre des décisions suppose que toutes les décisions antérieures ne soient pas tout le temps et en même temps remises en cause. Cet argument fait quant à lui appel à une vision réaliste des capacités cognitives des agents. Un traité qui serait immédiatement discuté, l’encre de la signature à peine sèche, impliquerait un monde d’une confusion et d’une incertitude dommageables pour tous. Mais, dire qu’il est souhaitable qu’un traité ne soit pas immédiatement contesté n’implique pas qu’il ne puisse jamais l’être. Il est opportun de pouvoir compter, à certaines périodes, sur la stabilité des cadres qu’organisent des traités, mais ceci ne fonde nullement leur supériorité sur le pouvoir décisionnel des parties signataires, et donc sur leur souveraineté. C’est pourquoi d’ailleurs le droit international est nécessairement un droit de coordination et non un droit de subordination[15]. L’unanimité y est la règle et non la majorité. Cela veut dire que la communauté politique est celle des États participants, et non la somme indifférenciée des populations de ces États. Un traité n’est contraignant que pour ses signataires, et chaque signataire y jouit d’un droit égal quand il s’engage par signature, quelle que soit sa taille, sa richesse, ou le nombre de ses habitants[16]. Vouloir substituer le droit de subordination au droit de coordination n’a qu’une seule signification: la création d’un droit qui serait séparé du principe de souveraineté et n’aurait d’autre fondement à son existence que lui-même. Un tel droit, s’il se rattache ou prétend se rattacher à un principe démocratique, nie le principe de légitimité. Il est alors immoral en cela qu’il ne distingue plus le juste du légal.

 

 

- Souveraineté et décision.

La question de la souveraineté ne dépend donc pas seulement de qui prend les décisions, autrement dit de savoir si le processus est interne ou externe à la communauté politique concernée. La souveraineté dépend aussi de la pertinence des décisions qui peuvent être prises sur la situation de cette communauté et de ses membres. Une communauté qui ne pourrait prendre, du fait de traités, que des décisions sans importance sur la vie de ses membres ne serait pas moins asservie que celle se trouvant effectivement sous la botte d’une puissance étrangère. Ceci rejoint alors une conception de la démocratie développée par Adam Przeworski. Pour cet auteur, la démocratie ne peut résulter d’un compromis sur un résultat. Toute tentative pour pré-déterminer le résultat du jeu politique, que ce soit dans le domaine du politique, de l’économique ou du social, ne peut que vicier la démocratie. Le compromis ne peut porter que sur les procédures organisant ce jeu politique[17]. De fait, on revient ici – et non sans raison – au décisionisme de Carl Schmitt. Il faut pouvoir penser la décision, c’est à dire un acte qui ne soit pas l’application mécanique d’une norme mais bien une création subjective d’un individu ou d’un groupe d’individu. Cette décision permet de penser l’innovation institutionnelle sans laquelle les hommes seraient condamnés à vivre dans une société stationnaire. Cette décision, qui définit en réalité qui détient la souveraineté dans une société, est au cœur du politique[18].

 

Or, cette tentative de prédéterminer le résultat du jeu politique, c’est très précisément ce à quoi tend toute la réflexion entamée dans les instances européennes et théorisée par Jakab. En cela, elle révèle tout le contenu anti-démocratique de la pensée européiste.

 

 

- L’idéologie européiste et ses conséquences.

En fait, la construction de cette pensée d’une Souveraineté « hors sol », réduite à un principe que l’on n’applique pas, révèle le projet politique qui est porté, consciemment ou non, par son auteur : il faut limiter autant que possible la souveraineté nationale pour laisser le champ libre à l’Union Européenne[19]. Il n’est donc pas étonnant qu’il propose la solution d’une neutralisation de la Souveraineté, solution qui consiste à admettre son existence mais à la rejeter dans les limbes au profit de compromis concrets[20]. Il ne faut dès lors plus s’étonner de la dissolution des sociétés dans ce cadre car ce qui « fait société » est en réalité nié.

 

Le principe de souveraineté se fonde alors sur ce qui est commun dans une collectivité, et non plus sur celui qui exerce cette souveraineté[21]. La souveraineté correspond ainsi à la prise de conscience des effets d’interdépendance et des conséquences de ce que l’on a appelé le principe de densité. Elle traduit la nécessité de fonder une légitimation de la constitution d’un espace de méta-cohérence, conçu comme le cadre d’articulation de cohérences locales et sectorielles. Cette nécessité n’existe que comme prise en compte subjective d’intérêts communs articulés à des conflits.

 

On discerne ainsi les conséquences extrêmement négatives du tournant que les dirigeants de l’Union européenne ont voulu prendre et qui se révèle dans la manière dont ils traitent la Grèce, mais aussi dont ils abordent bien d’autres problèmes, de celui des réfugiés en Méditerranée à celui de nos relations commerciales avec les Etats-Unis dans le cadre du TTIP. Pour chercher à résoudre le dilemme de la souveraineté des Etats confrontée à celle des institutions européennes, ils ont cru bon de nier en réalité le principe de souveraineté. Et ce n’est pas un hasard si autour de ce terme et de son dérivé politique, je veux parler du souverainisme, se concentrent les avis de ceux qui relèvent toutes les contradictions et les incohérences de la construction européenne. Les partisans de l’Union européenne tel qu’elle existe ont alors tôt fait de prétendre que les souverainistes ne sont que des nationalistes. Mais, ce faisant, ils démontrent leur incompréhension profonde de ce qui est en jeu dans le principe de souveraineté. En fait l’ordre logique qui va de la souveraineté à la légalité par l’intermédiaire de la légitimité, et qui est constitutif de toute société. Cependant, constater cela ne fait que renvoyer l’interrogation à un niveau supérieur, celui des formes symboliques dans lesquelles se meuvent les représentations tant de la souveraineté que de la légitimité.

 

 

On ne doit pas s’étonner alors si, dans les différends pays de l’Union européenne, la colère monte. Les partis que l’on qualifie de « populistes » ou « d’extrême-droite » ne font que refléter cette colère.

 

 

 

 

 

Notes :

[1] Jacques Sapir : diplômé de l'IEPP en 1976, a soutenu un Doctorat de 3ème cycle sur l'organisation du travail en URSS entre 1920 et 1940 (EHESS, 1980) puis un Doctorat d'État en économie, consacré aux cycles d'investissements dans l'économie soviétique (Paris-X, 1986). A enseigné la macroéconomie et l’économie financière à l'Université de Paris-X Nanterre de 1982 à 1990, et à l'ENSAE (1989-1996) avant d’entrer à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1990. Il y est Directeur d’Études depuis 1996 et dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il a aussi enseigné en Russie au Haut Collège d'Économie (1993-2000) et à l’Ecole d’Économie de Moscou depuis 2005. Il dirige le groupe de recherche IRSES à la FMSH, et co-organise avec l'Institut de Prévision de l'Economie Nationale (IPEN-ASR) le séminaire Franco-Russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie.

[2] Colombani J-M, « Quels chemins pour les grecs ? », in Direct Matin, n° 1630, 2 février 2015, p.3.

[3] Voir l’article du Ministre des Finances, Yanis Varoufakis, http://www.project-syndicate.org/commentary/greece-debt-deal-by-yanis-varoufakis-2015-04

[4] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », in Jus Politicum, n°1, p.4, URL : http://www.juspoliticum.com/La-neutralisation-de-la-question,28.html

[5] Décision 85-197 DC 23 Août 1985, Voir : Jacques Ziller, « Sovereignty in France: Getting Rid of the Mal de Bodin », in Sovereignty in Transition. éd. Neil Walker, Oxford, Hart, 2003.

[6] Rousseau J-J., Du Contrat Social, Flammarion, Paris, 2001.

[7] Kelsen H., «La méthode et la notion fondamentale de la théorie pure du droit »Revue de Métaphysique et de Morale, T. 41, No. 2 (Avril 1934), pp. 183-204.

[8] Dupuy R.J., Le Droit International, PUF, Paris, 1963

[9] Goyard-Fabre S., “Y-a-t-il une crise de la souveraineté?”, in Revue Internationale de Philosophie, Vol. 45, n°4/1991, pp. 459-498.

[10] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », op.cit., p. 11.

[11] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », op.cit., p. 12.

[12] S. Goyard-Fabre, “Y-a-t-il une crise de la souveraineté?”, op.cit., p. 480-1.

[13] Idem, p. 485.

[14] Kelsen H., «La méthode et la notion fondamentale de la théorie pure du droit »Revue de Métaphysique et de Morale, T. 41, No. 2 (Avril 1934), pp. 183-204.

[15] R. J. Dupuy, Le Droit International, op.cit…

[16] Point souligné dès le XVIIIè siècle par De Vattel, E., Le droit des gens, Londres, s.n., 1758, éd. de 1835. Il faut souligner ici que l’expression « doit des gens » souligne en réalité l’organisation des relations entre Nations.

[17] A. Przeworski, “Democracy as a contingent outcome of conflicts”, in J. Elster & R. Slagstad, (eds.), Constitutionalism and Democracy, Cambridge University Press, Cambridge, 1993, pp. 59-80.

[18] Schmitt C., Théologie politique. (1922), Paris, Gallimard, 1969.

[19] Wind M., Sovereignty and European Integration. Towards a Post-Hobbesian Order, Houndmills e.a., Palgrave, 2001

[20] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », op.cit., P. 22-23.

[21] Bodin J., Les six livres de la République, Librairie générale française, Paris, Le livre de poche, LP17, n° 4619. Classiques de la philosophie, 1993.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier Grèce

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28 mai 2015 4 28 /05 /mai /2015 08:08
Les « Républicains », opération de communication pour une captation d’héritage ?

Citoyenneté, service public, laïcité Où sont les vrais républicains ?

 

Par Martine Billard, membre de la direction du Parti de gauche, Anicet Le Pors, conseiller d’État honoraire, ancien ministre et Pierre Serna, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, professeur à Paris-I Panthéon- Sorbonne.

 

Source : l'Humanité le 19 mai 2015 | mis à jour le 07 juin 2015

Les « Républicains », opération de communication pour une captation d’héritage ?

- Sarkozy privatise jusqu’à  la République par Martine Billard, membre de 
la direction du Parti de gauche

Le changement de nom de l’UMP n’est rien d’autre qu’une vulgaire opération de marketing pour faire oublier les turpitudes du parti de Nicolas Sarkozy. Ce mécanisme n’a rien de nouveau dans la sphère commerciale. Que faire lorsque le nom de votre entreprise est synonyme de corruption, de scandales ? Changer d’enseigne. Combien d’entreprises, d’ailleurs souvent liées à la droite, ont agi ainsi ces dernières décennies, le cas le plus emblématique étant la Générale des Eaux, devenue Vivendi puis Veolia… L’UMP s’inscrit donc dans une démarche similaire. Cela ne fera pas oublier les affaires auxquelles nombre de ses dirigeants sont mêlés (Karachi, Bygmalion…) et ne changera rien pour son président. Sarkozy il est, Sarkozy il restera, et le nouveau parti héritera des casseroles de l’ancien, malgré la tentative de blanchiment.

 

Dans l’histoire politique française, c’est au sein de la droite que les partis changent le plus souvent de nom. Et si la référence à la République est si présente depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas un hasard. Ils ont longtemps porté un discours idéologique de rejet de la Révolution française, ainsi que de la laïcité, les rendant ainsi suspects de vouloir le rétablissement de la monarchie sous une forme ou une autre. À la Libération, la droite a besoin de reconstruire un parti qui rompt avec le discrédit de Vichy et de l’État français de Pétain. Le premier parti ainsi créé, le MRP (Mouvement républicain populaire), incorpore donc la référence à la République dans son nom. Les suivants, à l’exception du RPF de De Gaulle de 1947 à 1955, feront de même : l’UNR (Union pour la nouvelle République), l’UDR (Union pour la défense de la République) qui donnera lieu à l’expression d’« État UDR » tellement les gouvernements de cette époque, tous de droite, seront marqués par l’affairisme, le RPR (Rassemblement pour la République), lié lui aussi à nombre de scandales comme l’affaire des lycées d’Île-de-France, celle des emplois fictifs de la Mairie de Paris, celle des HLM de Paris…). À chaque fois, la dénomination change, mais les pratiques restent les mêmes.

 

Pas de nouveauté, donc, dans la démarche. Mais, cette fois-ci, Nicolas Sarkozy, qui ose tout, a décidé de s’accaparer totalement la République en s’appelant « Les Républicains » et même de privatiser cette dénomination en la déposant à l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle), ce qui vaut protection juridique contre toute utilisation par des tiers. Et dès que les médias parleront des républicains, le premier réflexe sera de penser au parti de Nicolas Sarkozy. Vous pouviez vous dire anti-UMP ; dorénavant, vous deviendrez anti-« Républicains » !

 

Plus profondément, quelle parodie et quelle tristesse. Au moment où les valeurs républicaines – liberté, égalité, fraternité – sont attaquées de toutes parts (loi sur le renseignement, explosion des inégalités, montée de la xénophobie), c’est le parti qui, dans sa course derrière le FN, est le plus en pointe dans ces attaques qui s’approprierait la dénomination « Républicains ». La République n’appartient à personne, ou plutôt elle appartient à tous les Français. Personne n’a le droit de s’adjuger l’utilisation exclusive de républicain et encore moins cette droite qui n’a que le mot répression à la bouche, qui est obséquieuse pour les puissants et dure pour le peuple et qui dresse les Français les uns contre les autres. L’UMP devenue « ripouxblicains », c’est le beau nom de républicains qui sera sali, avec le risque que le rejet de la droite ne devienne le rejet de la République. Non, la droite revancharde, réactionnaire moralement et libérale économiquement, et socialement, ne peut privatiser ce qui est notre bien commun à tous.

Les « Républicains », opération de communication pour une captation d’héritage ?

- C’est le fond qui manque le plus par Anicet Le Pors, conseiller d’État honoraire, ancien ministre

Il va de soi que l’on doit dénoncer la captation d’héritage par l’UMP. Toutefois, il me semble plus utile de se demander si cette captation n’est pas rendue possible par une insuffisante défense et une fructification déficiente de cet héritage par ses héritiers. La question et la réponse valent également pour le détournement par le Front national de valeurs républicaines. Trois thèmes, notamment, font l’objet de ces captations : la souveraineté, le service public, la laïcité.

 

La nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général. Le refuge dans la religion du libéralisme européen, comme le dogme d’une irrévocabilité de l’euro font obstacle à toute recherche sur l’avènement d’une nouvelle civilisation fondée sur l’intervention active des peuples. Après l’échec du XXe siècle « prométhéen », nous sommes entrés dans une phase de décomposition sociale, de perte de repères, qui s’accompagne d’un double mouvement d’individuation et de mondialisation, laquelle n’est pas seulement celle du capital. S’ensuit, au sein de cette « métamorphose », la nécessité d’un double approfondissement concernant, d’une part, la citoyenneté (valeurs, moyens, dynamique), d’autre part, l’avènement d’un genre humain porteur de valeurs universelles, développant interdépendances, coopérations, solidarités. Seule la nation est en mesure d’animer la dialectique entre ces deux pôles. Seule la souveraineté nationale et populaire lui en donne le moyen. La République française se définit aujourd’hui dans cette responsabilité historique que ne peut assumer le libéralisme.

 

Le XXIe siècle a vocation à être l’« âge d’or » du service public. Les Français sont attachés au service public qui, depuis la fin du XIXe siècle, a fait l’objet dans notre pays d’une théorisation constante. Le service public, contesté par l’économie de marché, est consubstantiel à la République française. Mais dans la crise, cet attachement se traduit généralement par des comportements défensifs, alors que la socialisation objective des relations humaines invite à une autre ambition. La montée de l’« en-commun » appelle celle de services publics au plan mondial. Mais cette constatation en appelle une autre : celle de la nécessité de la propriété publique, car le service public ne peut être « hors sol ». « Là où est la propriété, là est le pouvoir ! » disions-nous. La formule ne serait-elle plus vraie ? Pourquoi ? La question doit être remise sur le chantier, car ce n’est pas l’invocation tous azimuts de « pôles publics », objets économico-politiques non identifiés, qui y répond.

 

La laïcité est normalement au cœur de la confrontation politique dans la République et dans le monde. À la lumière de l’expérience du siècle passé, il s’agit de sortir des idéologies messianiques, des religions – fussent-elles séculières – prétendant substituer la loi de transcendances à la loi des hommes. On n’est pas quitte avec la laïcité en la qualifiant d’ouverte, de positive, de raisonnable. Pas davantage en faisant preuve de complaisance à l’égard de comportements ostentatoires dans l’exercice du service public. Car, si la laïcité est liberté de conscience, elle est tout autant neutralité de l’État, ce qui est trop souvent oublié. Les juridictions administratives et judiciaires peinent à valider les règles de droit nécessaires. Les forces laïques ne répliquent aux atteintes que de manière insuffisante et confuse. La revendication est quasi inexistante. Serait-il, par exemple, si difficile de mettre en perspective la fin du régime concordataire d’Alsace-Moselle ? Là se ferait clairement la différence avec « Les Républicains ». Et pas seulement avec eux.

Les « Républicains », opération de communication pour une captation d’héritage ?

- Le grand ami de la dynastie républicaine des Bush par Pierre Serna, directeur 
de l’Institut d’histoire de 
la Révolution française, professeur 
à Paris-I Panthéon- Sorbonne

Je me demande bien pourquoi les collègues universitaires, les spécialistes de la politique, les sociologues des partis s’étonnent tant de la volonté de capture du mot « républicain » par le camp de l’ancien président de la République. Même Marcel Gauchet y est allé de sa feinte ou cynique incantation à demander un adjectif après République, comme si la droite n’avait pas kidnappé depuis longtemps des symboles forts, issus de la Révolution française, censés représenter le peuple en colère, en révolte, en arme, libre et émancipé, à commencer par le bonnet phrygien comme emblème de feu le RPR de Jacques Chirac. Ainsi, ou bien on prend la posture scandalisé : il n’a pas le droit moralement de faire cela… quoi ? accaparer le mot République ! Comme si la République en soi, se suffisait… la République peut être celle de Bonaparte, par exemple, et, pourquoi ne pas l’écrire, celle de mai 1958 et de son quasi-coup d’État, sans parler de certains articles de notre Constitution, dont le fameux 16 qui donne tous les pouvoirs au président en cas de crise ! Ou bien on prend la posture critique, tant pis pour la République, la bourgeoise s’est vendue tant de fois, la faussement égalitaire est à bout de souffle et ne sert plus qu’à la reproduction des élites entre elles ! Les deux positions sont des impasses et le piège tendu fonctionne…

 

En effet, ces deux prises de position après le coup de bluff de Nicolas Sarkozy confondent République et démocratie, impossibles pourtant à penser en forme de synonymie, à moins de courir de graves dangers et de faire semblant d’ignorer qu’une république peut être autoritaire et qu’une démocratie, manipulée par le plébiscite, peut être pire. Pourtant, la Révolution et tout le XIXe siècle, et une grande partie de la gauche au XXe siècle, ont voulu et pensé une République démocratique, c’est-à-dire un régime de souveraineté du peuple – des citoyens mus par un espoir d’idéal – inscrit dans un horizon à atteindre : liberté, égalité fraternité jamais conquises, à désirer tout le temps, à édifier à chaque instant par le vivre-ensemble, le pouvoir être différent et le vouloir jouir des mêmes droits, à chaque moment de la vie civile, civique et privée.

 

Est-ce ce modèle français de République démocratique que revendique Nicolas Sarkozy ? Pas du tout et, une fois de plus, le débat mené de façon franco-française appauvrit la réflexion et rate la cible authentique : le président des « Républicains » envoie pourtant un message on ne peut plus clair. Il n’a pas de grande culture de la République démocratique de Robespierre, de Danton aussi, de Quinet, de Jaurès, de Péguy, de Jean Zay, de Germaine Tillion. En revanche, il est, reste et demeure fasciné par le modèle américain et son ultralibéralisme des plus violents par la casse sociale qu’il provoque. Le message devient plus clair : « Républicains », cela veut dire copier le parti des néoconservateurs les plus féroces qui soient de l’autre côté de l’Atlantique et, du même coup, vouloir forcer ses opposants à devenir les démocrates, aussi peu représentatifs d’une gauche républicaine et démocratique que le sont les partisans de Barack Obama ou de madame Clinton.

 

Nicolas Sarkozy ne veut pas accaparer la République comme on l’entend de ci et de là. Il veut simplement tourner la page de la République démocratique telle qu’elle s’est construite en France, avec ses luttes sociales, son éducation civique et civile, son instruction pour tous, son refus des communautarismes sectaires et son égalité comme objectif à réaliser pour construire la citoyenneté. Ce n’est pas tomber dans une américanophobie stérile que de pointer ce que masque le jeu autour du mot « républicain ». C’est plutôt tenter de dévoiler la part de cynisme de Nicolas Sarkozy à vouloir brouiller les cartes, par sa fascination des faucons américains et de leur république agressive et ploutocratique. Par pitié, ne jouons pas son jeu : ce n’est pas de l’histoire de France qu’il s’agit dans cette histoire de manipulation du mot « république », mais du refus à exprimer clairement de concevoir son avenir dans sa transformation en une petite Amérique, la succursale du clan Bush, les amis de vacances de Nicolas Sarkozy, ses protecteurs républicains.

 

Pour en savoir plus :

- Les Républicains : la nouvelle pompe à fric de Sarkozy

Les « Républicains », opération de communication pour une captation d’héritage ?
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27 mai 2015 3 27 /05 /mai /2015 08:07
L’esprit de la Résistance toujours d’actualité

Il y a soixante-et-onze ans, un programme social audacieux

 

L’histoire avancerait-elle à reculons ? Si le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), à la pointe du progrès économique et social, a pu s’appliquer à partir de 1944 dans un pays ravagé par la guerre, on ne voit pas pourquoi, dans une France et une Europe regorgeant de richesses, des changements de même ampleur ne seraient désormais qu’une aimable utopie incompatible avec les « contraintes » financières. En fait, tout dépend du rapport des forces politiques et sociaux...

 

Source :  le Monde Diplomatique par Serge Wolikoff [1]

Tout comme les systèmes de retraites et les dépenses de santé, l’organisation du travail ne pourrait donner lieu, nous dit-on, qu’à une seule « réforme » possible. Ce discours est actuellement dominant dans l’Europe occidentale du début du XXIe siècle, après plus de cinquante ans de paix et de croissance. Pourtant, dans la France dévastée de l’après-guerre, on a fait d’autres choix en appliquant Programme du Conseil National de la Résistance (CNR) élaboré dans la clandestinité et adopté le 15 mars 1944. Le progrès vers plus de justice sociale ne vaudrait donc qu’en temps de pénurie, tandis que l’abondance de la production justifierait l’extension de l’inégalité à tous les domaines de la société !

 

L’histoire du CNR, réuni pour la première fois en mai 1943 au 48, rue du Four, à Paris, à la barbe de l’occupant nazi, et son programme, adopté un peu moins d’un an plus tard, méritent davantage qu’un simple salut rhétorique. Dans la nuit de l’Occupation, pendant plusieurs mois, des résistants se réunirent au péril de leur vie, s’échangèrent des documents en vue de rédiger un programme destiné à définir la politique de la France au lendemain de sa libération, car ils avaient présents à l’esprit les événements ayant jalonné la politique de leur pays depuis une décennie.

 

Le CNR, qui rassemble les mouvements de résistance, les syndicats (CGT et CFTC), mais aussi les partis et tendances politiques (Parti radical, Parti socialiste, Parti communiste, Démocrates populaires, Alliance démocratique et Fédération républicaine) en lutte contre le régime de Vichy et l’occupant allemand, traduit la prise de conscience de la nécessaire unité du combat démocratique. Il s’appuie sur la mémoire des victoires, mais aussi des désillusions et de l’oubli des engagements qui ont accompagné les combats depuis une décennie.

 

De ce point de vue, le Front populaire avait été une réponse exaltante à la crise sociale, économique, aussi bien que morale et culturelle, de la France du début des années 1930. L’unité d’action des Partis communiste et socialiste, puis son élargissement au Parti radical, la réunification syndicale, mais aussi l’alliance avec le monde associatif, de 1935 à 1938, avaient permis de renverser le cours de l’évolution politique et sociale engagée par les forces de droite. En réponse aux discriminations contre les étrangers expulsés, à la marginalisation économique et culturelle des classes populaires, le Front populaire avait été l’occasion, pour les ouvriers notamment, de faire irruption sur la scène publique, d’y prendre leur place. En 1936, l’engagement massif des salariés dans les grèves, comme dans les manifestations, témoignait d’une forte politisation associant antifascisme et revendication sociale.

 

Mais la démocratisation amorcée par l’action conjointe d’un mouvement populaire et du gouvernement était très vite retombée ; nombre de réformes promises avaient été abandonnées, le spectre de la guerre divisant ceux qui, jusqu’alors, avaient dénoncé le militarisme. La politique à l’égard de l’Espagne républicaine, de 1936 à 1938, avait provoqué de premières failles que le pacte germano-soviétique, en août 1939, allait élargir. La division des composantes du Front populaire accompagna la mise en cause des institutions républicaines par des forces conservatrices qui situaient désormais l’ennemi à l’intérieur du pays. La défaite militaire de 1940 face à l’armée allemande fut aussi celle d’une République qui, après avoir répudié les enthousiasmes de 1936, laissa la place à un régime de revanche sociale et de réaction.

 

L’Etat français, qui prétendait, sous l’autorité du maréchal Pétain, établir une révolution nationale associée à la collaboration avec l’occupant, mit en œuvre une politique au service des grands intérêts économiques, reléguant à nouveau le monde du salariat dans un rôle subalterne. Le Front populaire fut, en tant que tel, rendu responsable de la défaite. Le procès de Riom au début de 1941, qui devait populariser cette thèse grâce à la mise en accusation des anciens ministres, tourna au fiasco et dut être interrompu. Il reste que les divisions des forces du Front populaire et la fin de la République marquèrent fortement les débuts de la Résistance. Le chemin qui, de 1940 à 1943, mène de sa diversité à son unification fut difficile et complexe.

 

A la fin de l’année 1942, le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, l’entrée des troupes allemandes dans la zone sud de la France, la contre-offensive de l’armée soviétique à Stalingrad traduisent une modification du rapport des forces en faveur des nations unies contre les puissances fascistes. La place et le rôle à venir des résistances nationales se trouvent d’autant plus remis en question que les Britanniques et les Américains n’accordent qu’une importance minime à la résistance intérieure, et dénient à de Gaulle la qualité de seul représentant légitime de la France.

 

Les événements d’Afrique du Nord, marqués par des négociations et des compromis avec les militaires et l’administration de Vichy, donnent, début 1943, une grande acuité à cette question. Du côté de la Résistance intérieure, les difficultés étaient autres : elles tenaient à l’hétérogénéité des organisations et à la diversité de leurs objectifs. Les uns, tels les mouvements, nourrissaient de fortes préventions envers des partis politiques tenus pour responsables de la faillite de la République. Les forces politiques, elles, se trouvaient dans des situations très contrastées : si le Parti communiste pouvait se prévaloir d’une organisation et d’une activité indéniables forgées dans l’action clandestine depuis longtemps, il n’en allait pas de même des autres partis, à commencer par le Parti socialiste, dont la reconstitution était récente et dont nombre de ses anciens militants avaient préféré s’investir dans divers mouvements et réseaux. Le syndicalisme, que le régime de Vichy avait tenté d’intégrer dans des structures officielles, était encore marqué par les divisions internes avivées par le pacte germano-soviétique.

 

Ces préventions entre organisations traduisaient à la fois des désaccords tactiques et des héritages culturels et politiques différents. De même, les incompréhensions entre la Résistance intérieure et la France libre autour de De Gaulle reflétaient des divergences sur le rôle et la place des civils dans la perspective de la libération du pays. Le processus d’unification sera impulsé par l’action de Jean Moulin, qui en avait reçu la mission explicite de De Gaulle. Les contacts directs noués à Londres entre le Parti communiste et de Gaulle créent une situation favorable, de même que l’acceptation, par les alliés, de la constitution, à Alger, le 3 juin 1943, d’un Comité français de libération nationale, présidé par De Gaulle, et embryon d’un véritable gouvernement de la Résistance.

 

Ce contexte éclaire la formation du CNR, le 27 mai 1943, ainsi que sa composition. Finalement, l’organisme regroupe 8 représentants des mouvements de résistance, 6 des partis ou tendances politiques, 2 des syndicats. Ces forces n’avaient pas les mêmes titres à faire valoir en termes d’action sur le terrain et d’ancienneté dans le combat. La présence de partis politiques comme les radicaux (Marc Rucart) et surtout l’Alliance démocratique (Joseph Laniel) ou la Fédération républicaine (Jacques Debu-Bridel), nettement situées à droite, exprimait la volonté d’ouvrir la Résistance à des forces politiques devant faire contrepoids à l’influence communiste. Cette dernière s’appuyait sur l’action de son parti et de ses militants, notamment sur le terrain de la lutte armée dans le cadre des Franc-tireurs et partisans, eux-mêmes dépendant du Front national pour l’indépendance de la France, mouvement représenté au CNR par Pierre Villon. A côté du représentant de la CGT (Louis Saillant), qui se réunifie au même moment (accords du Perreux le 17 avril), figure pour la première fois le représentant de la CFTC (Gaston Tessier), ce qui traduit l’engagement du syndicalisme chrétien dans la Résistance, au moment où la majeure partie de la hiérarchie catholique continue d’apporter son soutien la politique de collaboration du régime de Vichy.

 

 

- Définition d’une République nouvelle

Cette présence du catholicisme social est confirmée par la participation des Démocrates populaires au titre des partis politiques. C’est d’ailleurs leur représentant, Georges Bidault, qui, après l’arrestation de Jean Moulin le 21 juin, prend la direction du CNR. C’est pendant l’hiver 1943-1944 que la rédaction d’un projet de texte commun est mis à l’ordre du jour. Il s’agit de répondre aux préoccupations de plusieurs partis et mouvements, en résonance avec les discussions qui se déroulaient à Alger, notamment à l’Assemblée consultative, au sujet de la politique à mettre en œuvre en France après la Libération. L’élaboration du document fut lente et laborieuse. Le texte adopté fut le fruit de discussions et d’échanges ralentis par les combats et la clandestinité. Les tensions et les différences d’appréciation reflétaient la diversité des organisations membres du CNR : les partis politiques du centre droit étaient réticents à l’égard de mesures économiques et sociales radicales, mais leur poids dans l’action résistante était faible, et tout le monde convenait de la nécessité de réformes profondes pour reconstruire le pays et la démocratie.

 

L’affirmation unanime des fondements démocratiques de la vie politique attestait une volonté commune de renouer avec la République, malgré la crise de 1940. En fait, la divergence principale portait sur l’équilibre à tenir entre, d’un côté, l’action immédiate et le rôle de la Résistance intérieure dans les combats en vue de la libération et, de l’autre, le programme de réformes, tant sociales et économiques que politiques, à définir pour la France d’après-guerre. Les socialistes avaient mis l’accent sur les réformes de structure, tandis que les communistes insistaient davantage sur la lutte armée, la mobilisation de masse contre l’occupant et le rôle des comités de base. Pour autant, avec l’appui des syndicats et des mouvements, on parvint à la définition de grands objectifs communs et de réformes.

 

Ce programme commun, qui s’inscrivait dans une tradition politique française longtemps marquée par les échéances électorales, avait, dans le contexte de la Résistance, un caractère très novateur en associant l’action avec un projet essentiellement centré sur les questions économiques et sociales, décisives pour le monde du travail, mais aussi pour la reconstruction du pays. Le réalisme des propositions tenait également à leur ancrage dans les revendications et les expériences des luttes conduites depuis le Front populaire.

 

La collusion des milieux économiques dirigeants avec l’occupant, les souffrances des salariés de l’industrie et des travailleurs agricoles, leur participation à l’action résistante, donnaient sa légitimité à un programme mettant l’accent sur les droits sociaux et l’égalité des citoyens, sur la primauté de l’intérêt général dans la gestion des ressources nationales et dans la définition d’une République nouvelle.

 

Note :

[1] Serge Wolikoff Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne et directeur de la Maison des sciences de l’homme de Dijon (article paru en mars 2004 et toujours d'une ardente actualité).

 

Pour en savoir plus :

- Comme il y a 71 ans, redressons la tête !

- Mars 2014 : 70e anniversaire de l'appel du CNR

- 2015 : mettons Ambroise Croizat au coeur du 70ème anniversaire de la sécurité sociale

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26 mai 2015 2 26 /05 /mai /2015 08:15
Grèce : quel premier bilan pour la gauche, après cent jours de gouvernement ?

Où en est la gauche anti-austérité au pouvoir en Grèce depuis fin janvier ? Après cent jours de gouvernement, le Premier ministre Alexis Tsipras semble pris en tenaille, coincé entre, d’un côté, les exigences des créanciers du pays et, de l’autre, ses 2,2 millions d’électeurs qui attendent que les promesses soient tenues a minima. Voici un décryptage des points de blocages, des déceptions mais aussi de « la Grèce qui change malgré tout ».

 

Sources : BASTAMwww.bastamag.net par Nikos Smyrnaios sur son blog

Le nouveau gouvernement grec vient de passer le cap de cent jours au pouvoir. Il est donc possible de faire un bilan provisoire de son action. Dans ce texte je tenterai de recenser les principales difficultés rencontrées ainsi que les critiques qui lui sont adressées avant de décrire les aspects qui laissent entrevoir malgré tout un espoir de changement positif.

 

 

- Le « compromis honorable » introuvable

Le premier constat qu’on fait à Athènes est que le temps semble suspendu. Rien n’a changé en apparence depuis trois mois. Tout le monde attend le résultat des négociations avec les créanciers qui s’éternisent. Le gouvernement de Tsipras paye aujourd’hui le prix de son inexpérience et de son impréparation : l’accord du 20 février n’a pas assuré le versement de la dernière tranche du précédent programme de financement, ni la liquidité nécessaire en provenance de la Banque centrale européenne (BCE). L’État grec se trouve donc constamment au bord de la cessation de paiements.

 

Pourtant le gouvernement a fait de nombreuses concessions face à la pression des institutions et le risque d’une faillite imminente. Il a également honoré l’ensemble de ses obligations envers les créanciers – plusieurs milliards d’euros déjà prélevés sur le budget de l’État qui du coup n’ont pas été utilisés pour relancer l’activité ou réparer les services publics. En effet, l’économie du pays stagne dans ce climat d’incertitude. Les prévisions de croissance pour l’année 2015 ont été revues fortement à la baisse de 1,4 % à 0,8 %. Le chômage reste extrêmement élevé. Et la Grèce n’a pas touché un euro de la part du mécanisme de soutien financier européen depuis bientôt un an.

 

 

- Tsipras pris en tenaille à l’intérieur

Sur le front de la politique intérieure le premier ministre est coincé : d’un côté l’opposition et les médias dominants le pressent de « signer » avec les créanciers, quelques soient les conditions de l’accord. Pour ce faire ils brandissent des sondages douteux, supposés montrer que les Grecs sont « prêts à tous les sacrifices pour garder l’Euro » et reproduits largement par les médias européens. Ce que l’opposition veut c’est une compromission humiliante qui montrerait ainsi que la rhétorique anti-austéritaire de Syriza était bien du « populisme utopique ».

 

De l’autre côté l’aile gauche du parti et les millions d’électeurs de classes populaires et moyennes souffrant de la crise qui ont élu ce gouvernement attendent que celui-ci respecte a minima ses promesses électorales : pas de diminution des pensions et des salaires ; reforme de l’impôt pour plus de justice sociale ; régulation du marché de travail ; lutte contre la corruption, la fraude fiscale et les oligarques ; allégement du fardeau des dettes bancaires ; augmentation du salaire minimum…

 

Tsipras et son gouvernement doivent donc à tout prix obtenir des créanciers un accord « défendable » en interne, faute de quoi la popularité dont ils jouissent toujours risque de s’envoler et la majorité parlementaire qui les soutient imploser. Ceci d’autant plus que de nombreuses voix à gauche s’élèvent désormais pour critiquer leur gestion du pouvoir. En effet, des signes inquiétants se font jour : manque de transparence dans les processus de prise décision, concentration du pouvoir entre les mains du premier cercle de Tsipras, marginalisation d’un certain nombre de personnalités du parti, difficulté à s’ouvrir à la société civile.

 

 

- Le cas emblématique de la télévision publique

Récemment, les critiques se sont cristallisées autour de la désignation de la direction de ERT, la radiotélévision publique ressuscitée après la fermeture décidée de manière autoritaire par le précédent gouvernement à l’été 2013 (Basta ! était sur place à l’époque). En effet, la loi définissant les nouveaux statuts de ERT ne comporte que peu de garanties au niveau de son indépendance face au pouvoir politique, du contrôle par les citoyens, de l’implication de salariés à sa gestion...

 

De plus, la désignation du nouveau président et du nouveau directeur exécutif se sont faites de manière opaque. Le processus a été conduit par le ministre Nikos Pappas, un proche de Tsipras, sans qu’un projet soit présenté formellement par les différents candidats, seulement des CV qui ont été “examinés dument” mais on ne sait pas par qui.

 

Les critiques ont été plus fortes encore en raison des personnalités choisies. Le président choisi pour la nouvelle ERT est Dionissis Tsaknis, un chanteur et compositeur populaire, proche des mouvements sociaux, dont les convictions exprimées publiquement sont très ancrées à gauche. Mais en même temps il n’a aucune expérience dans l’audiovisuel et c’est aussi l’un des artistes qui a le plus profité de la bulle des industries culturelles grecques dans les années 90 et 2000.

 

Son directeur exécutif, Lambis Tagmatarhis, est quant à lui un cadre expérimenté de l’audiovisuel en provenance du privé, proche de l’establishment médiatico-financier. Il symbolise l’ère des excès du paysage médiatique. Ce choix controversé avait comme objectif déclaré d’éviter de placer un proche de Syriza ou quelqu’un sans l’expérience requise. Mais il a conduit des nombreuses personnalités respectées comme le professeur Yorgos Pleios, le journaliste Yorgos Avgeropoulos ou l’ancien directeur technique de ERT Nikos Mihalitsis à refuser d’intégrer le conseil d’administration de la radiotélévision publique .

 

Un autre problème pour la nouvelle ERT sera la cohabitation en son sein de deux groupes d’anciens salariés : ceux, les plus nombreux, qui se sont battus pendant deux ans pour sa réouverture à travers la radiotélévision autogérée ERTopen et ceux qui n’ont pas hésité à intégrer NERIT, la structure fantomatique mis en place par le gouvernement précédent. Les tensions entre les deux seront donc inévitables.

 

 

- Les tâches herculéennes

Ce recours à des dirigeants de l’ancien « régime » illustre également la difficulté que connaît ce gouvernement pour s’entourer des cadres aux compétences nécessaires à la gestion du pays. Les professionnels affirmés susceptibles d’être utiles dans de nombreux secteurs de l’administration ont souvent immigré ou sont politiquement incompatibles avec le programme de Syriza. D’autres sont tout simplement très bien payés dans le privé. Or, l’état lamentable des finances ne permet pas au gouvernement de proposer à ses collaborateurs des salaires décents par rapport à l’énormité des tâches à accomplir.

 

En effet, les cadres gouvernementaux se trouvent en première ligne. Disposant des budgets anémiques, voir inexistants, ils sont obligés de composer avec une administration peu efficace, lente et bureaucratique. Ils sont systématiquement confrontés à la corruption de certains agents et aux intérêts privés qui ont profité pendant des années des deniers publics.

 

A titre d’exemple, selon le témoignage d’une députée, lors d’une visite de l’une de plus grandes prisons du pays à Domokos aucune archive sur les marchés lucratifs de fournitures n’a été trouvée. Toutes les traces des pratiques douteuses du passé avaient tout simplement disparu. Autre exemple, on a découvert que la capacité d’accueil affichée des prisons grecques était largement surestimé par l’administration pénitentiaire. La surpopulation, déjà dramatique, est donc pire que ce qu’on croyait. Le ministère a été obligé d’entreprendre un nouveau comptage de la réelle capacité d’accueil des prisons du pays, calculée cette fois-ci en fonction des standards internationaux.

 

 

- La bataille pour assainir les médias

Même situation au secrétariat général de la communication où Lefteris Kretsos, le nouveau responsable qui a quitté une carrière d’universitaire en Grande Bretagne pour assumer la fonction, a découvert des situations ubuesques : des journalistes payés par l’agence de presse public APE qui n’ont jamais mis les pieds dans les locaux, ni produit la moindre information ; des locaux à l’étranger inexploités voir abandonnés ; des archives audiovisuels publics dans un piteux état.

 

Kretsos, un proche de Pappas, est en première ligne dans la bataille que le gouvernement tente de mener contre les oligarques qui contrôlent les médias. Il a ainsi récemment exigé le paiement des sommes dues par les chaînes privées pour l’utilisation des fréquences. Les chaines ont justifié leur manquement en évoquant la mise à disposition gratuite du temps d’antenne aux partis politiques, censée compenser le prix de l’utilisation des fréquences. Une excuse qui sonne comme un aveux.

 

L’autre tâche urgente pour le secrétaire général à la communication est l’examen des conditions dans lesquelles les chaînes privées en quasi-faillite ont obtenu des prêts avantageux des banques, qui elles mêmes avaient été précédemment re-capitalisées avec de l’argent public. Une disposition de la loi de refondation de ERT prévoit que le gouvernement peut révoquer les licences des stations de télévision qui ne peuvent pas payer leurs dettes. Des hommes d’affaires Grecs mais aussi étrangers sont en embuscade pour récupérer les fréquences si redistribution il y a. Faute d’une régulation suffisante et strictement appliquée le risque de créer une nouvelle oligarchie médiatique est existant.

 

Le projet de ré-agencement du système médiatique grec inclut également l’assainissement du paysage de l’information en ligne. Pour ce faire le gouvernement entend favoriser les sites d’information qui assurent un journalisme de qualité et se fonde sur des modèles économiques transparents, au détriment de ceux qui dépendent des financements douteux et qui pullulent sur l’internet grec diffusant rumeurs et fausses informations. Si l’idée est louable sa mise en œuvre risque d’être compliquée.

 

 

- La Grèce qui change malgré tout

Pour s’apercevoir que la Grèce est réellement en train de changer lentement, il faut s’éloigner du triste spectacle qu’offre la négociation avec les créanciers et s’intéresser à la politique de basse intensité qui vise à changer des pratiques et des mentalités fortement ancrées depuis longtemps. La reforme pénitentiaire en cours qui vise à désengorger les prisons et améliorer les conditions de vie des détenus, même si c’est à moyens quasiment constants, est à ce titre emblématique. Il s’agit d’insuffler une nouvelle mentalité dans un système inhumain qui pendant longtemps a fonctionné à l’écart de la société.

 

Le même effort, très compliqué, est déployé en direction de la police. Samedi dernier a ainsi eu lieu sur la place Syntagma, devant la parlement, le premier festival de cannabis au centre d’Athènes. Pas un seul policier en uniforme n’est venu perturber cette fête de la jeunesse athénienne qui a repris possession des lieux après des années de répression féroce instaurant un climat de terreur policière au cœur de la ville. Cependant le ministre de la police Panousis reste une bête noire pour des nombreux militants et électeurs de Syriza à cause de ses déclarations droitières répétées.

 

Autre front de ce type, le ministère de la Culture, longtemps mis au services d’une conception nationaliste et étroite de l’art et de l’histoire, tente de s’assainir et de s’ouvrir. Ainsi le secrétaire général à l’archéologie a par exemple découvert des services désorganises et des locaux délabrés. Il a également révélé des multiples manipulations politiques des fouilles en cours dans le nord de la Grèce visant à gonfler la « fierté nationale » et faire diversion des politiques austéritaires mises en œuvre par le précédent gouvernement.

 

Enfin, le procès en cours des principaux dirigeants d'Aube dorée pour participation à une organisation criminelle est aussi un signal fort pour les populations d’origine étrangère. Ces-dernières peuvent de nouveau circuler sans peur dans les rues d’Athènes puisque les attaques racistes impunies ont drastiquement diminué (sans disparaître).

 

Dans la même veine, la libération des centaines de migrants des centres de détention immondes mis en place avec des fonds européens, la couverture maladie universelle, y compris pour les étrangers, le droit du sol remplaçant le droit du sang pour les enfants d’immigrés, le retrait des circulaires stigmatisant séropositifs et toxicomanes et la remise sur pied du système de soin pour les malades mentaux qui est en cours clôturent une période qui restera tristement célèbre dans l’histoire du pays : celle d’un racisme d’État violent et qui pour l’instant reste impuni.

 

Enfin, il faut ajouter aux points positifs évidement les mesures contre la pauvreté extrême – mais qui touchent une fraction seulement de ceux qui en ont besoin – , la réintégration des fonctionnaires licenciés injustement (dont les femmes de ménage du ministère de l’Économie et les employés de ERT), la reforme de l’Éducation nationale vers plus d’égalité et la mise en place d’une commission d’audit sur la dette par le Parlement. Des débuts encourageants mais dont la suite est conditionnée par l’issue des négociations avec les créanciers et la réussite, qui reste hypothétique, de la politique économique qui s’en suivra.

 

Pour en savoir plus :

- Mon dossier Grèce

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19 mai 2015 2 19 /05 /mai /2015 08:00
La BCE au nom de l’Europe, contre les peuples

Sources :  La Commission économique du Parti de Gauche le 20 avril 2015 par Nolwenn Neveu

« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » assénait en janvier le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker. En réalité il ne peut tout simplement pas y avoir de démocratie dans le cadre des traités européens. L’hallucinant chantage auquel a été soumis le gouvernement Syriza, dix jours à peine après son accession au pouvoir en Grèce a sanctifié la toute-puissance de la Banque Centrale Européenne en matière de politique économique. La BCE, seule institution fédérale européenne, et la moins démocratique, entend désormais, sans aucun mandat populaire, décider des politiques mises en œuvre par des gouvernements souverainement élus.

 

 

- Une banque centrale au service des banques privées

Ce n’est pas au nom, ni dans l’intérêt des peuples que la BCE agit. Elle en a depuis longtemps fait la preuve. Ses décisions et ses actes servent aveuglément les intérêts des banques et de la finance, au détriment des populations. Depuis le début de la crise financière la BCE a déployé des trésors d’imagination pour secourir et enrichir les banques privées, allant jusqu’à bouleverser ses pratiques, elle qui se montre si rigide sur ses statuts lorsqu’il s’agit de venir en aide aux Etats ruinés. A titre d’exemple, alors même que sous couvert des traités elle refuse de prêter aux Etats, la BCE a conduit, entre 2011 et 2012, des opérations de refinancement des banques privées à hauteur de 1000 md€ et à des taux d’intérêts dérisoires. Non contente d’accorder des prêts à taux réduit (jusqu’à 0.25% quand les Etats de la Zone Euro empruntaient sur les marchés à des taux de 4 à 5%) la BCE procéda à un rachat massif auprès des institutions financières de titres de dettes souveraines des pays de la Zone Euro, à des prix supérieurs à celui du marché –le tout sans exiger aucune contrepartie. Et en janvier dernier, la Banque centrale européenne a dévoilé son nouveau plan, qui prévoit le rachat de 1 000 milliards d’euros de dette sur le marché secondaire jusqu’à fin 2016. Parallèlement, elle refuse toujours d’acheter directement aux Etats des titres de dette.

 

La BCE pourrait pourtant aisément résoudre le problème des dettes souveraines en transformant ces créances en obligations perpétuelles avec des taux d’intérêt fixes et sans remboursement de capital – comme le propose la Grèce. Elle pourrait également faire le choix d’annuler simplement les créances qu’elle détient et racheter les titres détenus par d’autres Etats afin de les annuler. Au lieu de cela, elle exige des Etats, au nom d’un supposé intérêt européen, une rigueur budgétaire aberrante au regard de leur situation économique. Laquelle rigueur devant leur permettre de rembourser une dette qui provient pour une large partie, il faut le rappeler, des plans de sauvetage du secteur bancaire et de la récession provoquée par la crise financière.

 

 

- Persécution économique

Pour décrire l’énormité de la violence imposée aux Etats à travers l’acharnement austéritaire, F. Lordon parle de « persécution économique ». Les pays de la zone euro, déjà dévastés par la spéculation des marchés, ont de surcroit dû se soumettre à des programmes d’austérité aussi drastiques que criminels. Ces programmes ont anéanti toute possibilité de reprise dans la zone euro et en ont fait la région la plus déprimée au monde. Véritables fléaux, ces programmes imposés par la troïka, BCE en tête, ont enfoncé dans la crise l’Europe et tout particulièrement la Grèce. De 2009 à 2014, la réduction des dépenses publiques a été de 28 % en Grèce. Les déficits ont été réduits au prix d’un désastre social et économique. En 2014, le PIB de la Grèce était inférieur de plus de 25 % à son niveau de 2007, il a chuté de 4.7% sur la seule année 2014. En 2014 le taux de chômage était de 26%, le taux de pauvreté avait augmenté de plus de 100%, portant à 46% la proportion de Grecs vivant en dessous du seuil de pauvreté, la mortalité infantile a augmenté de 43%.

 

Par son vote du 25 janvier 2015 le peuple grec a souverainement exigé la fin de cette persécution. Il réclamait la mise en place d’un programme, celui de Syriza, visant à sortir le pays de la crise humanitaire dans laquelle il est plongé : remboursement de la dette conditionné à la croissance économique, abaissement de l’obligation de surplus budgétaire de 4.5% à 1.5% sur 5 ans pour permettre la relance, taxation des plus riche, lutte contre l’évasion fiscale, plan de reconquête de l’emploi et de développement économique. La réaction ne s’est pas fait attendre : sans qu’aucun mandat ne lui ait été donné en ce sens, la BCE s’est brutalement soustraite à ses fonctions de Banque Centrale vis-à-vis de la Grèce en décidant d’interrompre la garantie de refinancement des titres bancaires Grecs. En menaçant ainsi de couper les liquidités à la Grèce, la BCE use d’une coercition parfaitement illégitime pour empêcher un gouvernement démocratiquement élu d’appliquer son programme.

 

Les négociations du mois de février entre la Grèce et l’Union européenne auraient sans doute connu une issue très différente si le gouvernement Tsipras  avait davantage anticipé un tel chantage et préparé une alternative pour peser dans la négociation. Pour l’heure, faute d’avoir conçu une échappatoire crédible pour échapper au piège tendu par la BCE, ce gouvernement se trouve empêché de mettre en œuvre l’essentiel de son programme.

 

 

- Préparer l’alternative

Si nous parvenions au pouvoir, nous serions probablement confrontés à une situation similaire. Il nous faut donc concevoir les alternatives qui nous permettraient d’appliquer notre programme.

Pour obtenir une refonte des traités européens permettant aux Etats d’appliquer des politiques favorables aux peuples, nous aurions à mener une bataille passant par la désobéissance aux traités et l’abrogation de la supériorité du droit européen sur le droit national.  Si malgré notre politique de désobéissance les gouvernements attachés au fonctionnement technocratique de l’Union européenne continuaient à bloquer une révision des traités, nous serions prêts à assumer l’éclatement de la zone euro.

 

Pour peser dans les négociations, il faudra effectivement affirmer la possibilité d’une réforme unilatérale des statuts de la Banque de France lui permettant d’acheter des obligations d’État en son nom. Cette réquisition de la Banque de France serait accompagnée d’un contrôle strict des mouvements de capitaux. Cette désobéissance aux traités conduirait certains à demander notre exclusion de la zone euro, même si cela n’est pas prévu par les traités européens. Nous proposerions alors aux autres pays de l’actuelle zone euro un changement radical de structure monétaire, par l’instauration d’une monnaie commune. Cette monnaie aurait un taux de change unique vis-à-vis des monnaies extérieures à la zone euro, mais chaque pays membre de la zone conserverait une monnaie nationale. Ce sont alors d’autres  solidarités qui naitraient, fondées sur un nouveau rapport de forces.

 

Nolwenn Neveu

Article paru dans A Gauche, l´hebdomadaire du Parti de Gauche

 

Pour en savoir plus :

- sur les analyses de la commissionn économique du Parti de Gauche

- sur les propositions de la commission économique du Parti de Gauche

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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 08:07
Concordat : au nom du ciel, des privilèges terrestres

Sources : Libération le 18/02/2015 par Henri Pena-Ruiz [1]

Au lieu de réaffirmer la laïcité, certains parlent aujourd’hui de l’affaiblir encore un peu plus en s’inspirant du concordat qui sévit encore en Alsace-Moselle. Ils ne veulent pas voir qu’avec la liberté de conscience, l’égalité de droits des croyants et des athées est essentielle. Ce principe républicain requiert la disparition des privilèges des religions, donc l’abrogation du concordat et non son extension.

 

 

- Quelques repères historiques.

Le 9 décembre 1905, Marianne se sépare de Dieu. Non pour lui faire la guerre, mais pour s’émanciper de sa tutelle, tout en le libérant de son contrôle. La République reconduit, ainsi, la religion à sa vocation revendiquée de démarche spirituelle qui n’engage que ses fidèles. Elle met à égalité les divers croyants, les athées et les agnostiques, et s’élève à l’universel en se réservant pour le bien commun à tous.

 

Rompant avec le concordat napoléonien et avec le bonapartisme dominateur qui l’animait, elle ne nomme plus les prêtres, laissant ce soin aux autorités religieuses. Une telle liberté va de pair avec la suppression des privilèges financiers des religions concordataires. Désormais, les salaires des responsables religieux et la construction des lieux de culte seront à la charge des seuls fidèles. La laïcité s’accomplit, simple et limpide, comme la devise républicaine dont elle met en œuvre les principes : liberté de conscience, égalité de droits, universalité fraternelle de la chose publique, désormais dévolue à l’intérêt général et non aux intérêts particuliers des croyants.

 

Cet avènement laïc est une double émancipation. Comme dit le poète croyant Victor Hugo : « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle. » C’en est donc fini du concordat de 1802-1807, que Bonaparte Napoléon avait assorti d’un catéchisme impérial et d’un sacre propre à ressusciter la collusion de la religion et du pouvoir politique. Avec ce concordat, le droit divin était revenu, comme au temps de la monarchie absolue qui faisait du roi le « ministre de Dieu sur la Terre » (Bossuet). Lecteur de Machiavel, Napoléon ne restaurait les privilèges des religions que pour obtenir en retour une sacralisation de sa domination. Régression vers l’Ancien Régime, et non seuil de laïcisation, le concordat avait reconduit le gallicanisme, qui donne au chef politique un pouvoir religieux. Une balance à deux plateaux. D’un côté, de l’argent pour les cultes et les clergés ; de l’autre, une allégeance contrôlée. Je paie, donc je contrôle. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon s’en explique. Ce qu’il dit des responsables ecclésiastiques est peu flatteur : « Je suis entouré de prêtres qui me répètent sans cesse que leur règne n’est pas de ce monde, et ils se saisissent de tout ce qu’ils peuvent. Le pape est le chef de cette religion du ciel, et il ne s’occupe que de la Terre. » Le mécénat intéressé, car il l’est presque toujours, achète donc l’allégeance. Ainsi, le pape Paul III commanda à Michel-Ange la fresque du Jugement dernier, et son successeur, Paul IV, fit censurer le chef-d’œuvre par Da Volterra, chargé de repeindre les nus, et surnommé « Il Braghettone » (« le culottier »). « Cachez ce sein que je ne saurais voir » (le Tartuffe, acte III, scène 2).

 

 

- Transposons pour récuser un argument faussement évident.

La République devrait financer des mosquées voire des instituts de théologie musulmane, et elle pourrait ainsi les contrôler. Quelle étrange idée de la liberté religieuse ! Quel croyant peut accepter ce gallicanisme dominateur, qui en somme achète la soumission ? Chantage. « Je vous paie. Mais gare à ce que vous direz ! ». Voilà bien un retour à l’Ancien Régime, car la relation de dépendance entre les personnes prend la place de la loi républicaine. Une métaphore commune le dit : « Celui qui paie l’orchestre dicte la musique. » Oublie-t-on qu’en République ce n’est pas la domination qui joue, mais la loi commune à tous ? Une loi que le peuple se donne à lui-même, contrat de tous avec chacun et de chacun avec tous. L’égalité horizontale des contractants prend la place de la dépendance verticale. Et, pour obtenir le respect des droits humains, nul besoin de l’acheter. Un imam, qui appelle à battre une femme, comme l’imam Bouziane à Lyon en avril 2004, est passible de poursuites pénales pour incitation à la violence et mise en danger de l’intégrité physique d’une personne. Tel est l’état de droit, et il n’a rien à voir avec le chantage implicite du mécénat religieux. Il est illusoire et même révoltant de vouloir payer pour contrôler. C’est d’ailleurs faire preuve d’une sorte de mépris condescendant pour les fidèles d’une religion que de se substituer à eux pour la délivrer de ses dérives intégristes. La République se contente de dire le droit et de poser, ainsi, les limites de pratiques religieuses qui lui contreviendraient. En parallèle, les religions doivent procéder à une adaptation issue de l’intérieur et non achetée de l’extérieur.

 

 

- Retour dans les départements concordataires d’Alsace-Moselle.

Les trois composantes du droit local y sont le concordat napoléonien, les lois allemandes dont une qui fait du blasphème un délit et d’autres qui créent des droits sociaux, et la loi Falloux qui installe les cours de religion dans les écoles publiques, avec demande obligée de dérogation pour les familles qui n’en veulent pas pour leurs enfants. Ces trois composantes sont distinctes et parfaitement dissociables. Si bien que l’abrogation du concordat et du délit de blasphème, ainsi que le transfert des cours de religion des écoles publiques à la sphère privée des familles n’entraînent nullement la suppression des droits sociaux spécifiques des alsaciens-mosellans.

 

Le concordat est une survivance archaïque et antirépublicaine, puisqu’il consacre des privilèges institutionnels et financiers pour les religions, au mépris de l’égalité des croyants et des athées. Il n’a aujourd’hui plus rien d’un accord équilibré, puisque ces privilèges n’ont désormais aucune contrepartie. Le président de la République, certes, nomme des responsables religieux, mais ce sont les autorités religieuses qui les choisissent. Le donnant, donnant napoléonien ne correspond plus à rien. Il ne reste plus que des privilèges, évidemment attentatoires à l’égalité et coûteux pour toute la République du fait qu’elle salarie les prêtres, les rabbins et les pasteurs. L’universel est sacrifié sur l’autel du particulier. Un comble en temps de crise et de vaches maigres pour les services publics communs à tous !

 

Il est temps d’abroger le concordat que certains voudraient bien étendre pour tuer définitivement la laïcité en communautarisant l’argent public. Dans le même esprit il y a mieux à faire pour la République que de financer des instituts privés de théologie musulmane sous prétexte de lutter contre les causes du fanatisme religieux. Le respect des lois laïques et républicaines, l’Ecole refondée pour instruire, et une politique sociale réaffirmée, peuvent y pourvoir de façon plus sûre.

 

Note :

[1] Henri PENA-RUIZ Ancien membre de la commission Stasi sur l'application du principe de laïcité

 

Pour en savoir plus :

- le Parti de Gauche et le concordat

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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 08:10
La loi Santé de Marisol Touraine, une étape dans la longue marche des complémentaires

La loi Santé de Marisol Touraine ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’un long processus de mise à mort d’un système de santé solidaire.

 

Sources : le Parti de Gauche Midi-Pyrénées le 25/04/2015 par Christian Lehmann[1]

- La longue marche des complémentaires

« Il faut une génération pour changer un système de santé » avait prédit Henri de Castries, PDG d’AXA®, président du groupe Bilderberg et ami de trente ans de Manuel Valls.

 

A la fin de la Seconde guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance a créé un système de protection sociale solidaire, et nationalisé les grandes sociétés d’assurances privées, au motif que la souffrance ne devait pas être source de profit pour « les grandes féodalités ».

 

Cette Sécurité Sociale a rapidement agacé le patronat de l’époque. Dès 1948, la Chambre de Commerce de Paris s’en indignait : « La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. »

 

En 2000, Claude Bébéar, alors PDG d’AXA®, crée l’Institut Montaigne, un thilk-tank d'économistes "indépendants"… financé par des banquiers et des assureurs (Areva®, Axa®, Allianz®, BNP Paribas®, Bolloré®, Bouygues®, Dassault®, Pfizer® ), qui dans les média est chargé de distiller le venin : le système de santé, déficitaire, doit être réformé de toute urgence. La preuve : le "trou de la Sécu" conséquence de l'irresponsabilité des malades et de la malhonnêteté des médecins. Jamais aucun de ces experts ne pointe qu’en 25 ans, 10% de la richesse nationale est passée des salariés aux dividendes financiers des actionnaires, entraînant une baisse cumulative des cotisations. La protection sociale des Français est donc constamment pointée comme coûteuse, irresponsable, un frein à la compétitivité et aux profits.

 

En 2004, Jacques Chirac, ami intime de Claude Bébéar, nomme à la tête de l’Assurance-Maladie Frederic Van Roekeghem, un ancien directeur du groupe AXA®. Proconsul nommé par l’Elysée, l’assureur Van Roekeghem peut enfin passer outre les avis des centrales syndicales et des syndicats médicaux, qui toutefois ne dénoncent pas la manipulation, trop heureux de garder leurs postes et leurs jetons de présence.

 

Dans le même temps, les assureurs entrent au Conseil de la Sécurité Sociale au sein de l’UNOCAM. Nommant et virant les directeurs de caisses locales comme il l’entend, Van Roekeghem s’entoure de sbires qui transforment la Sécu en intégrant les pires techniques de management : utilisation d’un langage commercial orwellien « C’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer », non-remplacement des agents retraités, transfert non rémunéré de la saisie informatique des feuilles de soins aux soignants, primes d’intéressement des médecins conseils, manipulation programmée des chiffres d'arrêts de travail " injustifiéés ", pouvoir disciplinaire discrétionnaire des directeurs de caisses sur les soignants, harcèlement des médecins. A force d’endoctrinement et de primes, les médecins-contrôleurs de la Caisse intégrent ce paradigme : utiliser les pires méthodes de management du privé "sauverait la Sécu ".

 

Début 2005, un petit arrangement entre amis permet à Xavier Bertrand, accessoirement ancien assureur chez AXA® lui aussi, de signer une convention avec les syndicats médicaux les plus proches du pouvoir en détruisant le système du médecin référent. Ouvrant la voie à la pénalisation des assurés, aux franchises sur les soins, le système du médecin traitant consiste en un magnifique tour de passe-passe, surchargeant les généralistes de travail administratif sans leur octroyer les moyens de payer un secrétariat, désespérant leur relève et hâtant leur disparition sur l’ensemble du territoire.

 

Dans le même temps, à l’hôpital, se met en place la tarification à l’activité. Les directeurs d’hôpitaux, eux aussi nommés par le pouvoir politique, inculquent au personnel soignant la culture du résultat. Rapidement, les vieux, les sans-grade, les malades atteints de pathologies complexes et nécessitant, outre des explorations médicales, du « temps soignant », sont refoulés de l’hôpital, pour des raisons d’équilibre budgétaire.

 

En 2006, à sa prise de fonction, Guillaume Sarkozy déclare être « fier de prendre la direction de Médéric®, un acteur historique majeur de la protection sociale. Mon ambition est que Médéric® relève les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale. »

 

 

- Stigmatisation des patients, dénigrement des soignants

En 2007, son frère Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir et, au prétexte de la réduction des déficits, se lance dans la " responsabilisation " des patients en instaurant des franchises sur les soins. Philippe Seguin, président de la Cour des Comptes, propose une alternative : plutôt que de ponctionner 800 millions d’euros par an dans la poche des cancéreux et des diabétiques, la simple taxation des stock-options ramènerait 4 milliards par an dans les caisses de l’Etat. La proposition est évidemment passée à la trappe.

 

La même année, Denis Kessler, ex-directeur général d'AXA® et ex-vice-président du MEDEF le félicite de ses réformes : « Il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple… Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

 

Dans ce climat de désespérance générale des soignants, de colère des malades, le pouvoir s'attache les services d'associations de patients "représentatives " comme le CISS® en les finançant à 75%. Pour s’assurer la fidélité de leurs représentants, on leur fait miroiter un avenir radieux, où grâce à l’éducation thérapeutique, on pourra enfin se passer de médecins.

 

Confrontés en 2009 à une campagne vaccinale contre la grippe aussi calamiteuse sur le plan scientifique que financier, ces « représentants » se taisent courageusement, concentrant leur tir sur les médecins de ville, accusés de vouloir vacciner leurs patients par appât du gain. Ils évitent ainsi à Roselyne Bachelot-Narquin et à Nicolas Sarkozy d’avouer clairement qu’il ne leur est pas venu un instant à l’idée de baser un plan pandémique sur une espèce dont ils organisent la disparition.

 

En faisant une fois de plus preuve de leur indépendance d’esprit vis-à-vis des pouvoirs et des pseudo-experts, les médecins de ville renforcent la conviction des politiques : il n’y a rien à attendre d’un corps de métier aussi disparate, individualiste, rétif à toute directive administrative infondée : le magistère de la santé doit être retiré au corps médical. Béats d’admiration devant les vaccinodromes Bachelot, certains idiots utiles comme Jean-Luc Mélenchono et François Chérèque accompagnent la manœuvre, incapables de saisir que ce n’est pas aux pieds du peuple, mais aux pieds des assureurs que le politique compte déposer ce magistère.

 

En 2009, Frédéric Van Roekeghem innove en proposant aux généralistes une rémunération à la performance. Certains des items scientifiques en sont très discutables, voire contraires à l’intérêt des patients, le calcul de la rémunération en est opaque. Le but est de déterminer, au sein des soignants, les plus compliants. Ceux qui passent sous les fourches caudines de la CNAM pour quelques deniers pourront demain, pour une somme modique, être agréés par les réseaux des assureurs privés.

 

En 2010, de déremboursement en franchise, la « Sécu » ne rembourse bientôt plus que 50% des soins ambulatoires, en maintenant la pression sur les professionnels de santé les moins bien rémunérés, infirmiers, généralistes et spécialistes de secteur 1, pour les pousser à la disparition. Sous couvert d’améliorer la gestion, se créent alors des Agences Régionales de Santé, sous la houlette de Nicolas Sarkozy. Une flopée de pontes « de gauche » habitués des hauts salaires, dont Claude Evin, qui a vigoureusement soutenu la réforme des hôpitaux, s’y précipite pour accepter des postes, cautionnant la manœuvre. Au menu : restrictions financières, coupes claires et autoritarisme d’une administration pléthorique jamais satisfaite.

 

En 2010 toujours, la légalisation de la « télémédecine » fait les unes de la presse. Experts du ministère et charlatans 3.0 exaltent conjointement une industrialisation du soin qui réaliserait le rêve d’une médecine sans médecin, gérée à distance depuis un centre d’appel vers des objets connectés.

 

De retour aux affaires, Xavier Bertrand relance le chantier du Dossier Médical Personnel, vantant aux Français les mérites d’un outil qui, in fine, permettra aux assureurs, une fois les généralistes éliminés, de disposer des données médicales personnelles des patients pour mieux affiner leurs offres tarifaires, calculer leur marge, et proposer aux patients.... des surcomplémentaires.

 

 

- Alzheimer, c’est maintenant

En 2012, c’est l’alternance. « La changement, c’est maintenant ». Après avoir vitupéré contre les franchises pendant cinq ans, les socialistes sont brutalement frappés d'Alzheimer. Eux qui dans l’opposition avaient vilipendé la gestion comptable à la hussarde de Van Roekeghem et le retrait de l’hypertension artérielle sévère de la liste des affections prises en charge en longue durée, le confortent dans sa position. Pas à un reniement près, l'inénarable députè Catherine Lemorton explique que l'ancien assureur privé est.... un immense serviteru de l'Etat.

 

Au Congrès de la Mutualité cette année-là, Marisol Touraine vient plier le genou devant le véritable Ministre de la Santé, Etienne Caniard. Elle lui accorde le report de publication des frais de gestion des complémentaires, "dont nous connaissons les difficultés qu'elles créaient pour vous" . Le pauvre homme est probablement comme le député Thévenoud l’une des premières victimes de la phobie administrative, et Marisol Touraine ne veut pas l’accabler en le contraignant à révéler aux cotisants quel pourcentage de leur argent est réellement consacré au remboursement des soins, et quel pourcentage va au marketing, aux publicités calamiteuses de Chevalier et Laspalès, ou au sponsoring de rallyes automobiles. Sous les vivats des dirigeants de complémentaires, François Hollande annonce la mise en place de l’Accord National Inter-régimes (ANI). « Une mutuelle pour tous », lance fièrement l’ennemi de la finance. L’Association Diversité et Proximité Mutualiste ( ADPM) regroupant de petites mutuelles, dénonce sans être entendue les manoeuvres en cours de financiarisation du secteur au profit des grands groupes. Et très peu comprennent que cette prétendue avancée signe un recul supplémentaire de la solidarité : dans un pays où la Sécurité Sociale rembourserait chacun correctement, personne ne devrait se voir contraint de cotiser à une complémentaire…

 

Dans le même temps, tandis que Cahuzac et Morelle donnent des leçons de morale à la Terre entière, en flagrant conflit d’intérêt, des députés socialistes ex-administrateurs de mutuelles douteuses, de la MNEF à la LMDE, passent en force à l’Assemblée Nationale la loi sur les réseaux de soins, histoire de renforcer le pouvoir des assureurs sur les professionnels de santé.

 

Dans le même temps, les laboratoires de biologie médicale font l’expérience de la main-mise des ARS sur leur survie. Accablés par la loi Bachelot de démarches-qualité et d’évaluations onéreuses, ne pouvant faire face à l’avalanche de textes et de contraintes administratives, nombre de biologes sont contraints de vendre leur laboratoire à de grands groupes. Comme par hasard, le dossier est géré au gouvernement sous la houlette de Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au budget, et par certains de ses proches.

 

 

- Diminuer le « coût » de la protection sociale et servir la finance

Et nous voici en 2015. Accélérant le mouvement, le gouvernement de reniement de François Hollande cherche à déréglementer le secteur de la santé, et à livrer les professionnels aux financiers et aux assureurs, appâtés par l’odeur du gain, tout en cherchant désespérément une mesure emblématique de gauche pour servir de caution sociale de sa politique antisociale : ce sera le tiers-payant généralisé.

 

Dans le même temps, au prétexte de la loi sur l’accessibilité aux personnes handicapées, le gouvernement met en péril la survie de nombre de cabinets médicaux isolés. Les moyens diffèrent, mais la technique est identique à celle qui a été utilisée avec succès pour les laboratoires de biologie médicale. Empiler les contraintes ingérables au tarif actuel de la consultation, forcer au regroupement dans des structures qui demain seront bradées aux complémentaires et aux financiers. Quand 50.000 médecins refusent telle ou telle directive imbécile, il est plus simple pour les ARS d’ordonner aux directeurs de 3000 maisons de santé de suivre les protocoles décidés en haut lieu.

 

Dans ce contexte, le tiers-payant généralisé qu'agite Marisol Touraine comme preuve de son engagement socialiste est un leurre. Et cela lui évite de parler de la véritable menace sur l’accès aux soins des français : la totale déconnexion entre le tarif de remboursement et la valeur économique de l’acte, qui dissuade les jeunes de s’installer en ville et accélère la désertification médicale.

 

Avec le TPG, il ne s’agit pas de diminuer le coût final pour les malades, mais de rendre l’assureur maître d’œuvre de la procédure médicale, selon l’adage qui veut que celui qui paie décide, surtout s’il a tout moyen de faire pression sur le professionnel. Lorsqu’elle répète en boucle dans les média que le tiers-payant généralisé ne coûtera rien à l’Etat, Marisol Touraine n’a pas tort, dans la mesure où la Sécurité Sociale est totalement incapable de gérer informatiquement 600 mutuelles complémentaires. Frédéric Van Roekeghem, qui a quitté son poste de fossoyeur après dix ans de bons et loyaux services pour retourner pantoufler dans le privé, a tellement dégraissé la Sécu que ses services ne sont même plus capables de comptabiliser correctement le nombre de patients ayant choisi tel ou tel médecin traitant. Comment son successeur, Nicolas Revel pourrait-il gérer correctement le règlement des soins aux professionnels ? De son côté, Etienne Caniard fait le tour des médias, annonçant comme un camelot de téléachat qu'il a dans ses cartons une solution informatique simple et fiable pour assurer le paiement aux professionnels, alors qu’encore aujourd’hui la majorité des complémentaires est incapable d’assurer correctement le règlement de la part mutualiste aux assurés bénéficiant du tiers-payant. Mais Marisol Touraine s’en moque. Ce qui lui importe, c’est l’effet d’annonce. C’est de marteler une fois de plus, comme Cahuzac, Morelle et Thévenoud avant elle, qu’elle est de gauche, et donc du côté des petits, des démunis, des pauvres et des sans grade, avant de monter en voiture pour aller dîner au Siècle.

 

Comble du cynisme, ces disciples autoproclamés de Jaurès n’hésitent pas à proposer de conditionner le tiers-payant que nombre de professionnels de santé appliquent aujourd’hui spontanément à leurs patients en difficulté… à l'autorisation directe de prélèvement de ces franchises (autrefois dénoncées par les socialistes comme injustes et inefficaces) sur le compte bancaire des cancéreux et des diabétiques.

 

Ultime retournement de veste d’un gouvernement aux abois et signe de l’amateurisme qui a accompagné tout au long le projet de loi Santé, Marisol Touraine lâche dans la dernière ligne sous la pression insistante des médecins les mutuassureurs en chargeant la seule Assurance-Maladie de gérer le tiers-payant, provoquant la colére dépitée d'Etienne Caniard. Le président de la Mutualité, qui n’a pas ménagé ses efforts de lobbyiste, voit s’éloigner avec ce flux unique l’accès direct des assureurs aux données des patients. Même son de cloche chez Cegedim, éditeur de logiciels pour l’industrie pharmaceutique dont le PDG… mis en examen dans l’affaire de la MNEF, fustige un dispositif « techniquement et juridiquement » intenable… qui protège encore un temps les données des patients… jusqu’au prochain décret ou amendement passé en douce.

 

Car derrière ce recul momentané, la menace est toujours présente, et de plus en plus clairement exprimée par les parlementaires « socialistes ». Olivier Véran, rapporteur de la Loi Santé, plaide en termes sibyllins pour une « redéfinition du panier de soins », tandis que Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche et spécialiste des affaires sociales, se prononce de manière plus franche pour le transfert de la médecine de ville, « les petits soins » aux assureurs, quand la Sécurité Sociale se concentrerait sur les pathologies lourdes : " Oui, il faut aller vers ce transfert, et y aller à fond... " Quand aux données de santé, que convoitent les assureurs… « il faut avancer sur l’open data, je le demande au gouvernement ». Pour que les choses soient parfaitement limpides, il assume de manière décomplexée, comme Denis Kessler à droite, l’abandon du pacte fondateur du Conseil National de la Résistance : « Le monde avance, le monde change. Et la Sécurité sociale de 1946 n’était sûrement pas ce que certains prétendent ».

 

Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé adossée aux appétits des actionnaires. Il y a deux ans, l’énoncer clairement aurait soulevé l’incompréhension. Mais après deux ans de règne de François Hollande, de reniement en reniement, il est évident que l’homme qui se proclamait ennemi de la finance est en fait son meilleur ami, et que pour passer sous les fourches caudines de la Commission Européenne, il est prêt à brader la santé et le système de protection social français en les livrant aux assureurs et aux financiers pour bien montrer sa capacité de « réformes » antisociales. Financiarisation du secteur santé, perte d’indépendance des professionnels… Hollande, Valls, Macron, Touraine, Moscovici, Cahuzac… Si la finance n’a pas de visage, elle a un gouvernement.

Christian Lehmann

 

La loi Santé de Marisol Touraine, une étape dans la longue marche des complémentaires

PS : Je suis médecin généraliste depuis plus de trente ans. Trente années pendant lesquelles j’ai vu naître, grandir, vieillir, mourir, un grand nombre de patients. J’ai été le médecin généraliste de chacun d’entre eux, considéré comme un individu, et non pas une ligne de bilan comptable. Comme j’ai refusé hier d’être le larbin de l’industrie pharmaceutique, je refuserai demain d’être le larbin d’un assureur, fût-il caché sous le mot-valise « mutualiste ».

 

Note :

[1] Christian Lehmann médecin généraliste, écrivain, initiateur de la pétition contre les franchises sur les soins

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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 08:05
Les pauvres fraudent dix fois moins que les riches

Au moins 15% de notre déficit extérieur résulte de la fraude fiscale des entreprises[1]

 

Sources : BASTAMwww.bastamag.net par Nolwenn Weiler

Une famille de cinq personnes au RSA gagnerait plus qu’une famille de même taille avec un salaire au Smic : ce calcul, complètement bidon, posté sur Facebook a eu un succès fou. Un calcul sérieux montre au contraire qu’une famille au Smic s’en sort un peu moins mal avec un « reste à vivre » (après les dépenses contraintes : loyer, électricité, transport...) de 1406 euros par mois contre 801 euros pour un foyer similaire au RSA, selon les calculs refaits par l’association ATD Quart Monde et Rue 89.

 

Qu’importe. L’idée selon laquelle les plus précaires abuseraient du système, aux dépens de « ceux qui travaillent », est décidément bien ancrée. Et allègrement relayée par certains politiques. Il y a deux ans Laurent Wauquiez déclarait ainsi que « un couple qui ne travaille pas, qui est au RSA, en cumulant les différents système des minima sociaux, peut gagner plus qu’un couple dans lequel une personne gagne un Smic. Ce n’est pas logique, c’est la société française qui tourne à l’envers ».

 

 

- Combattre les idées reçues

ATD Quart Monde s’attaque frontalement à ces idées reçues avec une campagne. L’association montre qu’un couple ayant deux enfants et un Smic doit se débrouiller avec 1881 euros par mois (toutes aides sociales comprises). Alors qu’une famille de même taille avec un RSA dispose de seulement 1341 euros par mois. Précisons que la moitié seulement des ayant-droits au RSA le réclament, ce qui entraîne une « économie » annuelle d’environ 5 milliards d’euros.

 

« La fraude aux prestations sociales, évaluée à environ trois milliards d’euros, concernerait 1% des particuliers », rappelle ATD Quart Monde. 90% de ces trois milliards sont récupérés. Des sommes fort éloignées de la fraude aux prélèvements sociaux, estimée entre 8 et 12 milliards. Cette fraude concernait en 2007 10% des entreprises, selon le Conseil des prélèvements obligatoires. Quant à la fraude fiscale, elle coûte chaque année 30 milliards d’euros à l’État français, selon un rapport du Sénat rendu public en juillet 2012.

 

Note :

[1] étude de la Banque de France

 

Pour en savoir plus :

- Les jeunes au RSA sont loin d’être des assistés selon l’Insee

- Au moins 15% de notre déficit extérieur résulte de la fraude fiscale des entreprises

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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 08:07
Michel Collon - L'OTAN est une association de criminels

Sources : Eric Durand | mis à jour le 19/08/2022

- L’Otan, c’est quoi ?

C’est l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. L’Otan peut également être appelé Nato (acronyme anglais de «North Atlantic treaty organization»), l’Alliance ou encore l’Alliance atlantique. Concrètement, l’Otan est une alliance de pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Le texte de ce traité est signé le . L'OTAN regroupe actuellement 30 pays membres, dont la France, les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne ou encore la Turquie. Les derniers pays ayant intégré l’Otan Macédoine du Nord et le Monténégro (Pour voir l'intégrale).

 

 

- Quel est son but ?

En théorie, maintenir la paix sur les continents américain et européen et assurer une défense commune contre les menaces extérieures. Avant tout par la diplomatie et par la collaboration politique. Mais si ces moyens ne sont pas suffisants, l’Otan possède des capacités militaires qui lui permettent de conduire des «opérations multinationales de gestion de crise», c’est-à-dire des interventions armées.

 

Notez que l’Otan obéit à un principe majeur: l’attaque de l’un ou plusieurs de ses membres doit être considérée comme une attaque dirigée contre tous, ce qui implique de répondre par une «défense collective». C’est l’article 5 du Traité de Washington, ou Traité de l’Atlantique Nord, le traité fondateur de l’Otan. Cet article 5 n’a été invoqué qu’une seule fois, en réponse aux attentats terroristes du 11-Septembre.

 

- Quelle est son histoire ?

L’Alliance a été créée en 1949 pour assurer la sécurité du continent européen après la Seconde Guerre mondiale. Deux Etats préoccupent alors l’Otan: l’Allemagne et l’Union soviétique.

 

En 1991, l’empire soviétique n’existe plus, la Russie est à l’agonie économique, la guerre froide est terminée. Mais cette année-là marque le début des guerres de Yougoslavie, soit dix ans de conflits, d’abord en Slovénie, puis en Croatie, en Bosnie, au Kosovo et en Macédoine. L’Otan intervient en Bosnie en 1995 et au Kosovo en 1999. En 2001, les attentats du 11-Septembre font jouer un nouveau rôle à l’Otan, qui s’engage dans une « guerre contre le terrorisme ». En mars 2011, intervention militaire en Libye, et à partir du , l'ensemble des opérations sont conduites par l'OTAN dans le cadre de l'opération Unified Protector[1].

 

Et la France ?

  • 7 mars 1966 : La France est donc l’un des membres fondateurs de l’OTAN. Malgré cela, le 7 mars 1966, le général DE GAULLE, alors président de la République française, annonce dans une lettre adressée au président américain, Lyndon B. JOHNSON, le retrait de la France de la structure militaire de l’OTAN. »La France, écrit-il, se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entravé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN.«  
  • 7 novembre 2007 : La réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord est annoncée par le président de la République Nicolas Sarkozy au Congrès à Washington le 7 novembre 2007.
  • À l'Assemblée nationale, cette politique donne lieu à une motion de censure le 8 avril 2008 et à un vote de confiance le 17 mars 2009. Les deux votes sont favorables au gouvernement et le vote de confiance entérine le retour. Ce retour devient effectif lors du sommet de l'OTAN à Strasbourg-Kehl les 3 et 4 avril 2009.


 

- Comment fonctionne l’Otan ?

Pour agir, l’Otan doit prendre des «décisions» qui doivent faire «consensus». Autrement dit, une décision doit être adoptée par chacun des membres. Dans les faits, il n’y a pas de vote à l’Otan. Les Etats discutent entre eux jusqu’à ce qu’une décision acceptable par tous soit prise. Il arrive que les pays membres conviennent de ne pas s’accorder sur un point particulier.

 

Pour éclairer les membres dans leur prise de décisions, des centaines d’experts et de responsables civils et militaires se rendent chaque jour au siège de l’Otan, à Bruxelles, pour échanger des informations et partager des idées.

 

 

- Michel Collon : " Toutes les guerres de l'OTAN sont des guerres de pillage "

Exraits de " Ce soir ou jamais " du 22-05-2012 de Frédéric Taddeï.

 

 

- OTAN : Pour aller plus loin 

  • OTAN : mercenaires et propagande au service d’une machine de guerre 1/3

 

OTAN : mercenaires et propagande au service d’une machine de guerre 1/3

 

  • OTAN : mercenaires et propagande au service d’une machine de guerre 2/3

 

OTAN : mercenaires et propagande au service d’une machine de guerre 2/3

 

  • OTAN : mercenaires et propagande au service d’une machine de guerre 3/3

 

La réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN

 

Note :

[1] « Libye : point de situation opération Harmattan no 14 » [archive], sur www.defense.gouv.fr, (consulté le 1er avril 2011).

 

Pour en savoir plus

- L’OTAN, instrument de domination militaire au profit des Etats Unis et du capitalisme

- La Colombie, vieil allié stratégique de Washington-OTAN

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24 avril 2015 5 24 /04 /avril /2015 09:54
Chronologie des interventions américaines dans le monde
Chronologie des interventions américaines dans le monde

Voici une chronologie non-exhaustive des différentes interventions impérialistes des États-Unis dans le monde depuis le Manifest Destiny de 1845. Une idéologie de colonisation, sous la présidence de James Polk, selon laquelle les États-Unis ont pour mission divine d’apporter la démocratie et la civilisation vers l’Ouest, sur les terres amérindiennes.

Au début du XXème siècle, le président Théodore Roosevelt a repris le concept afin de justifier l’expansionnisme et l’interventionnisme des États-Unis hors de ses frontières quand les intérêts américains étaient menacés. Il déclara notamment : « Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté. »

 

Sources : MECANOBLOG par · | mis à jour le 07/02/2024

  • 1846 : Mexique. A l’issue d’une guerre qu’ils avaient programmées et provoquées, les États-Unis s’emparent de la moitié du territoire mexicain. Ce territoire conquis s’appelle aujourd’hui : la Californie, le Nevada, l’Utah, l’Arizona, le Nouveau-Mexique, le Colorado (en partie).
  • 1852-1853 : Argentine. Les Marines  débarquent et s’installent à Buenos-Aires pour protéger les intérêts américains face à une révolution.
  • 1853 : Nicaragua. Protection des citoyens et intérêts américains pendant des troubles politiques.
  • 1853-1854 : Japon. « Plan d’ouverture du Japon » et expédition Perry qui conduit, avec les navires de guerre américains, à forcer le Japon à ouvrir ses ports aux États-Unis. Attendant une réponse du Japon l’autorisant à se rendre dans ce pays, le contre-amiral américain Perry, opère une démonstration navale de force et débarque par deux fois. Il obtient des autorités de Naha, sur l’île d’Okinawa, la gestion d’une concession minière. Il opère la même démonstration de force dans les îles de Bonin afin d’obtenir des facilités commerciales.
  • 1854 : Nicaragua. Pour venger une offense faite au ministre-président américain en poste au Nicaragua : destruction de la vile de Greytown (San Juan del Norte).
  • 1855 : Uruguay. Les armées américaines et européennes débarquent pour protéger les intérêts américains au cours d’une tentative de révolution à Montevideo.
  • 1859 : Chine. Intervention destinée à protéger les intérêts des États-Unis à Shanghai.
  • 1860 : Angola. Intervention en Afrique occidentale portugaise pour assurer la sécurité des citoyens et des biens américains pendant une révolte indigène à Kissembo.
  • 1893 : Hawaii. Sous couvert officiel de protéger les vies et les biens des américains, cette intervention visa à mettre en place un gouvernement provisoire sous l’autorité de Sanford D. Dole.
  • 1894 : Nicaragua. Intervention militaire pour protéger les intérêts américains à Bluefields à la suite d’une révolution.
  • 1898 : Cuba. Sous prétexte de libérer l’île de la tutelle espagnole, les États-Unis s’installent et imposent une base militaire, la possibilités d’investissements financiers américains et un droit d’intervention dans les affaires intérieures du pays.
  • 1898 : Porto-Rico, Hawaii, Wake, Guam. Sous prétexte de défaire la tutelle espagnole, les États-Unis s’installent et imposent une base militaire, la possibilités d’investissements financiers américains et un droit d’intervention dans les affaires intérieures du pays.
  • 1898 : Philippines. L’archipel est vendu aux USA par l’Espagne (décembre 1898), les philippins se soulèvent contre les États-Unis (février 1899), les États-Unis envoie 70 000 militaires qui mettront trois ans pour mater le soulèvement (des milliers de pertes humaines).
  • 1903 : Colombie. Les États-Unis fomentent une révolution à l’issue de laquelle ils créent de toute pièce la République de Panama qui lui assure le contrôle du canal et des bénéfices qu’il génère.
  • 1914-1918 : Première Guerre Mondiale.
  • 1915 : Haïti. Nouvelle intervention et occupation des troupes américaines pendant 19 ans.
  • 1916 : République Dominicaine. Quatrième intervention et maintien des troupes américaines pendant 8 ans.
  • 1926 : Nicaragua. Nouvelle intervention et expédition de 5000 militaires pour contrer une révolution.
  • 1940-1945 : Deuxième Guerre Mondiale.
  • - 1945 : Début de la Guerre Froide entre les États-Unis et l’URSS.
  • - 1945 : Japon. Bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki.
  • 1945-46 : Chine. Bombardements.
  • 1946 : Philippines. Colonie américaine jusqu’à l’occupation japonaise, les Philippines accèdent à leur indépendance en 1946 en concédant aux États-Unis un droit illimité d’exploitation des ressources naturelles du pays au titre des dommages de guerre. Jusqu’en 1992 les États-Unis conservent 23 bases militaires et participent à la répression des opposants communistes ou musulmans.
  • 1947 : Grèce. Les États-Unis volent au secours de la dictature de colonels mise en place par les britanniques et menacée par la guérilla des gauchistes. Les États-Unis livrent 74 000 tonnes de matériels militaires et d’armements et envoient 250 « conseillers » militaires sur le terrain, assurant ainsi la victoire des forces de droite en 1949.
  • 1950 :  Porto Rico. Les troupes américaines qui stationnent en permanence écrasent un mouvement d’indépendance. Deux ans plus tard, Porto Rico se voit accorder le statut d‘État libre associé aux États-Unis.
  • 1950-1953 : Corée. Les forces armées de la Corée du Nord franchissent le 38ème parallèle et pénètrent en Corée du Sud. A la « demande » des Nations-Unies, les États-Unis acceptent d’aider à repousser l’agression armée. 2 millions de coréens trouvent la mort au cours de cette guerre.
  • 1950-53 : Chine. Nouveaux bombardements.
  • 1953 : Iran. Opération Ajax, un coup d’État orchestré par la CIA est mené par l’armée et les grands propriétaires fonciers après que les britanniques aient organisés le boycott des compagnies pétrolières iraniennes suite à leur nationalisation en 1951. Les États-Unis soutiennent pendant les 25 ans qui suivent l’homme fort du pays, le Shah d’Iran. Celui-ci s’enfuira en 1978 devant le raz-de-marée de la Révolution Islamique de l’ayatollah Khomeiney en exil. Deux ans plus tard, en 1980, la guerre entre l’Iran et l’Irak sera une aubaine pour les industries d’armements, notamment américaines.
  • 1954 : Guatemala. Opération PBSUCCESS, des mercenaires entraînés par la CIA au Honduras et au Nicaragua renversent, avec l’aide de l’aviation américaine, le gouvernement démocratique du président Arbenz Guzman remplacé par une junte militaire réclamée par Eisenhower.
  • 1958 : Liban. Des milliers de Marines sont envoyés à Beyrouth pour empêcher le renversement du gouvernement pro-américain et protéger les intérêts américains dans la région.
  • 1958 : Indonésie. Bombardements par les militaires et combattants islamistes appuyés par les États-Unis contre le gouvernement démocratique de Sumatra.
  • 1960 : Guatemala. Bombardements.
  • 1961 : Cuba. Opération Mongoose, armés et entraînés par la CIA, plus de 1000 exilés cubains débarquent dans la Baie des Cochons avec l’espoir de provoquer une rébellion contre le gouvernement castriste en place très populaire. Le soulèvement n’a pas lieu, les mercenaires sont rejetés à la mer, les États-Unis imposent un embargo à Cuba.
  • 1961-1972 : Vietnam. Pendant 11 ans, les États-Unis, prenant le relais de l’armée française, utilisent tout leur arsenal militaire y compris des armes chimiques pour venir à bout d’un mouvement révolutionnaire nationaliste d’indépendance. La plus longue guerre dans laquelle se sont embarqués les États-Unis causera la mort de plus d’un million de combattants vietnamiens, quatre millions de civils et près de 60000 soldats américains.
  • 1961-1972 : Laos et Cambodge. Bien qu’officiellement pas en guerre avec ces deux pays, les États-Unis y effectuèrent d’incessantes attaques aériennes et d’innombrables massacres de populations.
  • 1961 : Congo. Assassinat du premier ministre Patrice Lumumba par les services secrets belges soutenus par la CIA.
  • 1962 : Cuba. Crise des missiles.
  • 1964 : Panama Les Marines qui protègent les intérêts américains du canal de Panama écrasent une révolte visant à nationaliser ce secteur stratégique. Après avoir protégé et utilisé le dictateur panaméen pour leurs attaques contre le Nicaragua sandiniste, les USA s’en débarrassent. 26 000 soldats américains envahissent le pays sous couvert de le faire comparaître devant les tribunaux américains pour trafic de drogue. Des centaines de civils périssent sous les bombardements.
  • 1964 : Brésil. Renversement du président Joao Goulart par un putch militaire soutenu par la CIA et instauration de la dictature du maréchal Castelo Branco.
  • 1964 : Congo. Bombardements pour réprimer la révolte nationaliste de gauche soutenue par l’Organisation de l’Unité Africaine.
  • 1965 : Indonésie. Prétextant une tentative de putch des communiste pourtant proche du pouvoir de Sukarno, une opération militaire sanglante dont les dirigeants sont téléguidés par la CIA est menée. Des centaines de milliers d’indonésiens sont victimes d’une chasse à l’opposant, la longue et meurtrière carrière de l’homme de paille américain Suharto commence pour culminer au Timor Oriental.
  • 1965 : République Dominicaine. Sous le couvert de l’Organisation des États Américains, les États-Unis interviennent militairement pour contrer une prétendue menace communiste et provoquent un coup d’État contre le président Juan Bosch élu démocratiquement. La bataille de Saint-Domingue fait quelque 10 000 victimes.
  • 1965 : Pérou. Bombardements.
  • 1967-69 : Guatemala. Formation des forces armées guatémaltèques du président Julio César Mendez Montenegro par les forces spéciales américaines pour contrer les attaques des rebelles gauchistes.
  • 1970 : Oman. Soutien logistique de la CIA et formation par des conseillers américains, les troupes iraniennes tentent d’envahir le sultanat pour contrer l’insurrection communiste dite Guerre du Dhofar.
  • 1970 : Moyen-Orient. Implication militaire des États-Unis auprès d’Israël dans les guerres qui ont lieu dans cette région du globe.
  • 1973 : Chili. Suite à la réforme agraire et aux nationalisations, les États-Unis, par l’intermédiaire de la CIA et de la firme ITT, fomentent un coup d’État militaire qui conduit à l’extermination du président élu de gauche Salvador Allende. Des milliers de morts, de femmes et d’enfants enlevés et torturés, et l’installation de la dictature d’extrême-droite du général Pinochet conseillé par la CIA.
  • 1975-1999 : Timor Oriental. Les États-Unis soutiennent sans faillir l’invasion et l’annexion conduite par l’Indonésie de Suharto. Un tiers de la population est décimée en près de 25 années. Alors qu’en 1999 lors d’un référendum, 80% de la population du Timor Oriental choisit l’indépendance, les États-Unis soutiennent les exactions et la terreur de milices téléguidées par l’armée indonésienne qui s’opposent à l’indépendance. Les États-Unis finissent par accepter, sous la pression internationale, l’idée d’une force de maintien de la Paix de l’ONU.
  • 1979-1989 : Afghanistan. Opération Cyclone, soutien logistique aux Moudjahidins du commandant Massoud pour contrer l’invasion de l’URSS. Soutien à Oussama Ben Laden appuyé par les services secrets pakistanais, l’ISI, dans le recrutement, la formation et l’envoi de combattants islamistes sur le front afghan.
  • 1980-1990 : Salvador. Les États-Unis s’engagent militairement aux côté des forces gouvernementales, de l’oligarchie au pouvoir et des escadrons de la mort de l’armée salvadorienne pour contrer la guérilla marxiste du FMLN. En 1980, l’archevêque Romero, très populaire chez les pauvres, est assassiné par des hommes proches de la CIA. En dix ans, la guerre civile a fait plus de 100 000 morts.
  • 1981-1988 : Nicaragua. Les États-Unis n’acceptent pas la série de réformes que les Sandinistes du président Daniel Ortega arrivés au pouvoir en 1979 engagent. Les États-Unis apportent leur soutien aux Contras basés au Honduras. En 1986, le scandale de l’Irangate révèle que le produit financier des ventes d’armes américaines à l’Iran a servi a financer les Contras.
  • 1982-1984 : Liban. Les troupes phalangistes du Liban soutenues par Israël et les États-Unis expulsent et massacrent des Palestiniens.
  • 1983 : Grenade. Opération Urgent Fury, embourbés au Liban, les États-Unis font une démonstration de force en envahissant la minuscule île de la Grenade prétextant de la sécurité de quelques citoyens américains et pour renverser le dirigeant Maurice Bishop suite à son coup d’Etat pacifique contre le régime autoritaire du Premier Ministre Eric Gairy. Huit ans plus tard, le Wall Street Journal qualifie cette démonstration d’« invasion des banques », l’île est devenue un paradis pour la fraude financière et l’évasion fiscale.
  • 1986 : Libye. Suite aux attentats anti-américains en Europe, l’aviation américaine bombarde des villes libyennes, faisant des centaines de victimes parmi les civils et les officiels.
  • 1986 : Les États-Unis sont condamnés pour « usage illégal de la force » contre le Nicaragua par la Cour internationale de justice de La Haye.
  • 1988 : Iran. Opération Praying Mantis de la marine américaine contre les deux plateformes pétrolières iraniennes, Sassan & Sirri, durant la guerre Iran-Irak et suite aux dégâts de la frégate USS Samuel B. Roberts causés par une mine iranienne.
  • 1989 : Philippines. L’aviation américaine prête main-forte aux forces gouvernementales pour contrecarrer un des nombreux coup d’État contre la présidente Corazon Aquino, farouche opposante aux communistes et aux indépendantistes musulmans.
  • 1989 : Panama. Opération Just Cause, le président George H.W. Bush ordonne la prise de contrôle du canal de Panama et renverse le dictateur militaire Manuel Noriega, agent double de la CIA, suite au prétexte de l’exécution d’un soldat américain par des soldats panaméens.
  • 1991 : Fin de la Guerre Froide entre les États-Unis et l’URSS.
  • 1991 : Irak. Allié précieux des États-Unis dans la région durant de longues années, le dictateur Saddam Hussein envahit le Koweït sans en référer à la superpuissance. Les États-Unis, n’acceptant pas de perdre le contrôle d’une partie des ressources pétrolières du Golfe, déclarent la guerre à l’Irak en janvier 1991 et mettent en place une coalition militaire internationale qui, avec le soutien de l’ONU, libère le Koweït. L’Irak est placé sous embargo.
  • 1993-1994 : Somalie. Fiasco des opérations Restore Hope I et II, en appui à l’ONU, pour mettre fin à la guerre civile du seigneur de guerre Mohamed Aidid.
  • 1994 : Haïti. Ayant occupé Haïti de 1915 à 1934 puis soutenus les deux effroyables dictatures de François et Jean-Claude Duvalier de 1957 à 1986, les États-Unis se montrent favorables au renversement par coup d’État, en 1991, contre le dictateur Raoul Cédras remplacé par le le président en exil Jean-Bertrand Aristide escorté par 22000 soldats américains. Parmi les militaires impliqués dans le coup d’État, le colonel François qui a été formé, comme les dictateurs latino-américains Noriega et d’Aubuisson, dans la même académie militaire américaine. Trois ans plus tard les États-Unis interviennent militairement pour remettre en scelle le président déchu.
  • 1995 : Yougoslavie. Bombardements en Bosnie-Herzégovine en soutien aux forces armées de l’ONU/OTAN.
  • 1996 : Somalie. Soutien de la CIA dans l’assassinat de Mohamed Aidid.
  • 1998 : Irak. Les États-Unis et l’Angleterre reprennent leurs bombardements sur l’Irak et se fixent comme objectif l’élimination physique de Saddam Hussein et la mise en place d’un gouvernement de remplacement.
  • 1998 : SoudanOpération Infinite Reach, en riposte aux attentats terroristes contre les ambassades américaines de Nairobi au Kenya et de Dar-es-Salaam en Tanzanie, l’armée américaine détruit un complexe pharmaceutique d’Al-Shifa supposé servir de lieux de production d’armement chimique à des fins terroristes.
  • 1998 : Afghanistan, Opération Infinite Reach, bombardements massifs par la marine américaine de quatre camps d’entrainement dont Al Badr, El Farouq et Zawhar Kili, dirigés par Oussama Ben Laden, ex-agent de la CIA, lors d’un sommet de hauts responsables de plusieurs milices islamistes. L’attaque américaine provoqua la mort de cinq agents secrets pakistanais de l’ISI.
  • 1998 : Timor Oriental. Soutien logistique à l’ONU pour son indépendance.
  • 1999 : Yougoslavie. Au mois de mars, sous l’impulsion des États-Unis, l’OTAN bombarde le Kosovo et la Serbie ou s’opposent l’Armée de Libération du Kosovo qui depuis 1998 mène des opérations de guérilla et les forces de polices serbes qui, de leur côté, prennent en otage les populations civiles. Des centaines de bombes à uranium appauvri sont testées par les États-Unis. A noter que L’ambassadeur du Canada en Yougoslavie, James Bissett, écrivait en 2001 : « Depuis 1998, la Central Intelligence Agency (CIA) avec l’aide du Special Air Service (SAS) britannique livrait des armes à l’armée de libération du Kosovo (UCK) et leur assurait une formation militaire, dans le but d’une insurrection armée. […] et, une fois la région embrasée, l’intervention de l’OTAN deviendrait possible et justifiée »Voir ICI
  • 11 septembre 2001 : Début de la Guerre contre le Terrorisme. Lancement de l’opération Enduring Freedom à l’échelle du globe.
  • 2001 à 2021 : Afghanistan. Opération Active Endeavour, suite aux attentats du 11 septembre attribués à l’organisation Al-Qaïda dirigée par Oussama Ben Laden, les États-Unis forment une coalition internationale, implantent des bases au Pakistan et bombardent massivement le pays. Les Taliban sont renversés. Les États-Unis ne parviennent pas à imposer leur « protégé » (l’ancien roi), un gouvernement de transition est mis en place. Les prisonniers de guerre se voient déniés par les États-Unis de leurs droits internationaux reconnus par les conventions internationales, certains sont déportés sur la base militaire américaine de Guantanamo à Cuba et subissent un régime d’exception contraire aux principes internationaux et à la législation américaine elle-même. Derrière ces événements, les États-Unis légitiment leur allié dictateur du Pakistan, assurent peu à peu leur mainmise sur le transit des ressources naturelles régionales[1] [2].
  • 2002 : Irak, Iran et Corée du Nord. Les États-Unis placent ces pays au nombre des composantes de l’Axe du Mal, la nouvelle doctrine militaro-mystique de mise en place de « guerres préventives »  contre tous ceux qui ne s’alignent pas sur les États-Unis.
  • 2002 : Phillipines. Opération Enduring Freedom, soutien économique et militaire au gouvernement philippin contre les guérillas.
  • 2002 : Corne de l’Afrique. Opération Enduring Freedom.
  • 2002 : Géorgie. Opération Enduring Freedom, formation de plusieurs bataillons d’infanterie de l’armée géorgienne dans la vallée du Pankissi.
  • 2002 : Irak. Les États-Unis font pression sur la communauté internationale pour lancer un corps expéditionnaire en Irak visant au renversement de Saddam Hussein, à l’instauration d’un gouvernement favorable à leurs intérêts, à l’obtention des principales parts de marchés de la reconstruction du pays après bombardements, à l’octroi de concessions sur les immenses ressources pétrolières du pays. Fin 2002, les USA et leurs alliés anglais ont massés des dizaines de milliers de soldats sur-équipés sur place, prêts à une offensive.
  • 2003 : Irak. Les États-Unis outrepassent les décisions de l’ONU et envahissent l’Irak dans la nuit du 19 au 20 mars, avec le soutien de l’Angleterre. Un déluge de feu s’abat sur le pays et la population dont déjà près de 500 000 personnes sont mortes en 10 ans du fait du blocus économique (800 missiles Tomahawk, 23 000 bombes à uranium, à fragmentation, mini-nucléaire). Un mouvement mondial d’opposition à la guerre et à l’agression militaire des États-Unis se développe en faveur de la paix et pour le respect du droit international. La majorité des pays de la planète condamnent l’agression américaine contre un pays souverain. Par cet acte les USA ouvre la voix dangereuse et criminelle à la doctrine de la guerre préventive permettant d’attaquer tout pays ne se soumettant pas à la conception impérialiste américaine.
  • 2003 : Sao Tomé-et-Principe. Intervention suite à une tentative de coup d’État militaire contre le président Fradique de Menezes.
  • 2004 : Haïti. Intervention militaire avec l’aide de la France pour chasser le président Jean-Bertrad Aristide.
  • 2004 à nos jours : Pakistan. Début de la guerre du Waziristan contre les nombreux mouvements de Taliban. Bombardements réguliers par des drones de l’armée américaine et de la CIA.
  • 2004 : Algérie. Soutien militaire au gouvernement dans sa lutte contre le GSPC devenu AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique).
  • 2004 : Kyrghizstan. Opération Enduring Freedom.
  • 2008 à nos jours : Somalie. Bombardements de plusieurs camps islamistes d’Al-Shabaab supposés être liés à Al-Qaïda.
  • 2008-2009 : Palestine. Soutien financier et logistique à l’armée israélienne dont l’envoi de 3000 tonnes de munitions en prélude à l’opération Plomb Durci dans la Bande de Gaza contre le Hamas.
  • 2009-2010 : Yémen. Bombardements par l’aviation américaine de plusieurs camps de la rébellion zaïdites des Houthis soutenus par l’Iran et en conflit contre le gouvernement yéménite depuis 2004, dit Insurrection de Sa’dah.
  • 2011 : Lybie. Intervention militaire de 2011 en Libye.
  • 2014-2015 : Irak et Syrie (en cours)  : Guerre contre l'État islamique
  • 2017 : Venezuela. Le directeur de l’Agence Centrale de Renseignement des États-Unis (CIA), Michael Richard Pompeo, révéle publiquement la tenue de plusieurs réunions avec la Colombie et le Mexique pour évaluer les « manœuvres qui pourraient être appliquées depuis ces nations en vue d’obtenir un meilleur résultat » dans les efforts menés pour « changer le gouvernement du Venezuela ». Voir ICI
  • Janvier 2024 : Moyen-Orient. À défaut de faire pression sur Israël pour interrompre le carnage mené à Gaza, Joe Biden a préféré ouvrir un nouveau front au Yémen et bombarder les Houthis, qui prennent pour cible les navires de commerce d’Israël et de ses alliés dans le détroit de Bab-el-Mandeb[3].

 

  • Après le coup d’État soutenu par les États-Unis en Bolivie contre Evo Morales en novembre 2019, voici un aperçu de tous les coups d’État auxquels les États-Unis ont participé en Amérique latine. 

- Cent ans de coups d'Etat en Amérique latine

- Les Etats-Unis : la fabrique de coups d’Etat en Amérique latine​​​​​​​

Chronologie des interventions américaines dans le monde

Notes :

[1Afghanistan : 20 ans de guerre en travers de la gorge

[2Afghanistan, d’une défaite l’autre

[3FRAPPES AMÉRICAINES SUR LE YÉMEN : VERS UNE NOUVELLE GUERRE AU MOYEN-ORIENT 

 

Pour en savoir plus :

- Guerre économique et déstabilisation politique

- Les Etats-Unis envoient des équipements militaires aux Baltes

- Des conseillers militaires USA et Israël accusés d'aider l'ISIS : arrêtés (Sputniknews.com)

- Venezuela : Le crime se prépare

- Les Etats-Unis ont 222 années de guerres à leur actif... sur 239 ans d'existence !

- Cent ans de coups d'Etat en Amérique latine

- La guerre contre la démocratie (John Pilger – 2007)

- La CIA a pensé à se débarrasser de Fidel Castro... 638 fois !

- Depuis 1959, les États-Unis ont multiplié les actions contre Cuba

- Lorsque les Etats-Unis soutenaient les islamistes radicaux en Bosnie et au Kosovo

- Ce qui attend l’Amérique latine avec Trump

- Les Etats-Unis ont largué l’équivalent de trois bombes par heure dans le monde en 2016

- Les guerres secrètes des États-Unis mettent l’Afrique en danger

- Venezuela : l'administration Trump a discuté avec des rebelles pour renverser Maduro

- Entretien avec Rafael CORREA, ancien président de l'Équateur : « Ils veulent exterminer la gauche »

- Petit précis de déstabilisation en Bolivie

- Que cache la militarisation de l’Amérique Latine ?

- Un rapport indique que les Etats-Unis ont dépensé six mille milliards de dollars pour des guerres qui ont tué un demi-million de personnes depuis le 11 septembre 2001

- 6 mai 2020 : Au Venezuela, une "baie des Cochons en mode stupide" ?

- Retour historique sur l’Opération Condor et le rôle de la CIA

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16 avril 2015 4 16 /04 /avril /2015 08:39
« L’automatisation ne détruit pas le travail mais l’emploi salarié »
L’automatisation d’aujourd’hui prend non seulement la forme de bras robotiques, mais aussi d’intelligences artificielles. Selon plusieurs études, 50 % des métiers seraient automatisables d’ici dix ou vingt ans. Une évolution qui pourrait se révéler violente sans contrôle social et politique.
 
Sources :  l'Humanité par Pierric Marissal Lundi, 16 Mars, 2015

Depuis bientôt un an, dans le fonds de pension de Hong Kong spécialisé dans la biotechnologie Deep Knowledge Ventures, le conseil d’administration est présidé par Vital, un algorithme. Cette intelligence artificielle trône parmi les patrons en costumes, décide des investissements, rédige des rapports financiers, des cas cliniques ou encore des analyses sur l’état des brevets. Elle fait tout cela en quelques secondes, en s’appuyant sur d’énormes bases de données mises à jour en temps réel. Vital fonctionne un peu à la manière d’Ambush, Cobra, Guerilla ou Ninja, ces intelligences artificielles agressives, en charge de spéculer sur les marchés financiers et qui mettent, petit à petit, les traders et analystes financiers au chômage technologique.

 

Les emplois automatisables ne sont plus seulement les plus pénibles et répétitifs, mais concernent aussi des métiers qualifiés. Les études se multiplient et convergent : l’université d’Oxford, le Massachusetts Institute of Technology ou l’Institut Bruegel envisagent que jusqu’à 50 % des métiers seront automatisables à l’horizon 2025-2035 : télémarketeurs, analystes, secrétaires, dockers, employés de banque, réceptionnistes, arbitres sportifs, chauffeurs, caissiers, comptables, ouvriers assembleurs, conducteurs de trains…

 

« Il y a toujours eu des destructions d’emplois liées à l’évolution technologique, rappelle Yann Le Pollotec, responsable de la révolution numérique au PCF. Mais ces processus étaient beaucoup plus lents qu’aujourd’hui. Il y a eu déjà des phases d’accélération, par exemple au XIXe siècle en Angleterre, qui avaient créé un chômage foudroyant. Mais on restait dans un rythme de remplacement, de création destructrice, dirait Schumpeter. Aujourd’hui, nous sommes dans une autre situation, tout cela va beaucoup plus vite et changer de métier, se former, demande beaucoup de temps. » C’est d’autant plus vrai que l’automatisation et la numérisation entraînent aussi une baisse importante du nombre d’heures de travail nécessaires pour accomplir une tâche. « Cela concerne les emplois qualifiés, experts comptables, journalistes, médecins ou 
avocats, explique Yann Le Pollotec. On numérisait 25 % de la production d’informations humaines en 2000, on en est aujourd’hui à 98 % en France. Avec cet océan de données et à l’aide d’algorithmes pour naviguer dedans, là où il fallait trente avocats mobilisés pour analyser un dossier, rechercher de la documentation, des jurisprudences… il n’en faut plus que trois aujourd’hui. Le métier d’avocat ne disparaît pas, il faudra toujours plaider, mais il y en aura besoin de beaucoup moins. »

 

Troisième facteur aggravant pour l’emploi, ces nouvelles technologies ont tendance à faire de plus en plus travailler le consommateur au profit de celui qui vend le service. Cette habitude est déjà prise à la pompe à essence, ou au supermarché par exemple : avec les caisses automatiques, le consommateur fait le travail des caissiers et des pompistes. Mais bien davantage encore : lorsqu’on passe une commande chez Amazon ou qu’on tape une requête dans Google, on travaille gratuitement pour ces fournisseurs de services. On donne nos données, on nourrit les algorithmes qui permettent aux moteurs de proposer des suggestions… Les entreprises du numérique font travailler gratuitement les consommateurs, qui, lorsqu’ils commandent sur Amazon, ont l’impression d’économiser de l’argent mais détruisent des emplois.

 

Une nouvelle étude du très libéral Boston Consulting Group, publiée le 10

février, se félicite que ces évolutions technologiques vont faire économiser à échelle mondiale 16 % du coût du travail en coupant dans la main-d’œuvre, à court terme.

 

Dans son article paru dans l’ouvrage collectif Le capitalisme a-t-il un avenir ? (éditions La Découverte), le sociologue Randal Collins explique que ce nouveau chômage technologique représente avant tout un véritable risque pour la classe moyenne qui occupe ces métiers qualifiés et relativement bien payés. Pour lui, ne subsisterait, en termes d’emploi, que ce qui ferait appel aux qualités propres à l’Homme, comme la créativité et l’imagination… Mais leur nombre est restreint. Resteraient également les métiers qui serviront à entretenir ces cerveaux, qui seront sous-prolétarisés. Des emplois non qualifiés devraient ainsi subsister, très mal payés, ceux qui coûteraient plus cher à automatiser. Le salaire de l’homme est en concurrence avec le coût d’investissement du robot. Et dans cette course à la compétitivité, l’humain n’est pas sûr de gagner. Foxconn, le principal sous-traitant d’Apple, a commencé à remplacer ses ouvriers chinois par des robots sur ses lignes de montage. Son objectif est de mettre à la porte la majorité de ses salariés, soit un million d’ouvriers, qui ne sont pourtant payés qu’à peine plus de 300 euros par mois. Autre exemple, 
Microsoft a remplacé tous ses vigiles et gardiens de sécurité par des robots mobiles d’1,50 mètre, munis de caméras, de capteurs et de détecteurs de mouvements et de sons.

 

« Cela pose de vraies contradictions au capital, constate Yann Le Pollotec. Pour fonctionner, il a besoin de clients qui consomment. Si le chômage explose, la consommation s’effondre. Il y a bien eu un moment le levier du crédit, mais, on l’a vu aux États-Unis avec la crise des subprimes, il a ses limites. » S’ils sont heureux de couper dans leurs coûts de main-d’œuvre, certains patrons s’inquiètent de cette fuite en avant, Bill Gates en tête. Certains libéraux proposent ainsi l’instauration d’un revenu universel de base, un genre de RSA, pour tenter de faire perdurer le système malgré tout. « Parmi les solutions plus progressistes, il y a celle que nous, au Parti communiste, mettons en avant, c’est la sécurité emploi-formation, explique Yann Le Pollotec. Comme l’automatisation ne détruit pas le travail mais l’emploi salarié, l’idée est d’utiliser la richesse et le gain de productivité permis par les robots pour développer les services publics et le secteur des biens communs. »

 

  • Une autre idée intéressante, avancée notamment par le philosophe Bernard Stiegler, est le revenu universel de contribution, qui propose qu’à partir du moment où on contribue d’une manière ou d’une autre à l’intérêt général, on perçoive un revenu décent et proportionnel à la contribution apportée à la société. Cela s’inspire des bons côtés du régime des intermittents du spectacle. Pour Yann Le Pollotec, « la réduction du temps de travail peut aussi améliorer la situation, mais cela ne suffira pas. Alors qu’avec un juste partage de la richesse et une maîtrise sociale et politique de ces technologies, on peut aller vers une société de l’abondance ».
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13 avril 2015 1 13 /04 /avril /2015 08:16
Pour bâillonner les salariés, Rebsamen et le gouvernement s'attaquent aux droits syndicaux et sociaux

Le projet de loi du gouvernement sur le « dialogue social » prépare un affaiblissement de la représentation du personnel dans les entreprises. Particulièrement visé, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et, avec lui, la protection de la santé des salariés.

 

Sources :  l'Humanité par : Fanny Doumayrou avec Kevin Boucaud, Kareen Janselme, Thomas Lemahieu et Olivier Morin

S’il fallait une raison supplémentaire de se mobiliser dès ce jeudi 9 avril, les salariés qui l’ont d’ores et déjà prévu (et tous les autres) en ont une : le projet de loi sur le « dialogue social » concocté par le ministère du Travail. Le 21 janvier dernier, patronat et syndicats se séparaient sans avoir pu conclure d’accord sur la question.

 

Les prétentions du Medef, sans être pleinement satisfaites, sont largement prises en compte dans la version que l’Humanité, comme d’autres rédactions, a pu se procurer : remise en cause des comités d’hygiène et de sécurité, des prérogatives des CE, voire de leur existence, interdiction des syndicats de pénétrer dans les TPE... tout un éventail régressif se présente qui bat en brèche les droits conquis par les salariés de se défendre et à être défendus.

 

Quand il s’est agi de légiférer sur l’ANI, le gouvernement s’était interdit et avait interdit au Parlement toute modification de ce premier coin dans le Code du travail. Dans le cas présent, rien ne l’oblige à écrire sous la dictée de Pierre Gattaz.

 

Il pourrait choisir, au contraire, de réparer l’anomalie démocratique, soulevée par la CGT, qu’un salarié ait des droits collectifs différents selon la taille de l’entreprise qui l’embauche. Ou entendre les idées qu’expriment des syndicalistes dans nos colonnes.

 

Suicides, dépressions, explosion des troubles musculosquelettiques (TMS), mal-être généralisé au travail... Les indicateurs de la santé des travailleurs sont au rouge. Mais pas assez, apparemment, pour que le gouvernement juge important de renforcer les moyens de résistance des salariés face au rouleau compresseur des objectifs de renta-bilité dans les entreprises.

 

Son avant-projet de loi sur le « dialogue social », qui devrait être présenté le 22 avril en Conseil des ministres, inflige au contraire un sérieux coup de rabot à la représentation du personnel dans les entreprises, et tout particulièrement à l’institution spécialisée dans les questions de santé et de conditions de travail : le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

 

Dans la négociation entre patronat et syndicats sur ce sujet, qui a capoté en janvier, le Medef prévoyait carrément de supprimer les CHSCT et ses attributions importantes que sont le droit d’ester en justice et celui de recourir à une expertise aux frais de l’employeur. Ce projet a servi d’épouvantail, au point que le texte du gouvernement peut paraître « moins pire », voire « modéré ». Il n’en prépare pas moins un recul important pour les possibilités d’organisation des salariés dans les entreprises. Comme promis à l’issue de la négociation en janvier, le gouvernement a écarté l’idée du Medef de fusionner en un seul « conseil d’entreprise » les actuels comités d’entreprise (CE), délégués du personnel et CHSCT. Mais son projet emprunte une autre voie de simplification, qui aura des effets importants.

 

 

- 1 -  Les CHSCT survivent, mais tres affaiblis

Le texte prévoit d'élargir le dispositif actuel de délégation unique du personnel (DUP). Actuellement, l'employeur peut l'im-poser dans des entreprises entre 50 et 200 salariés, pour regrouper le CE et les DP, et ainsi faire baisser le nombre de mandats et d'heures de délégation. Le texte élargit le dispositif jusqu'au seuil de 300 salariés, et surtout il y intègre le CHSCT.
 
Sur le papier, les trois institutions perdurent, mais dans les faits, ce sont les mêmes délégués, trans-formés en hommes-orchestres, qui devront assumer les différentes attributions. Avec le risque évident que les questions économiques, notamment dans les entreprises en difficulté, prennent le pas sur les questions de santé et de conditions de travail. Le droit à l'expertise est conservé, mais il pourrait être bouleversé par la création d'une « expertise commune » aux questions relevant du CE et du CHSCT, qui risque là encore de faire reculer la pertinence « santé au travail ».
 
Dans les entreprises de plus de 300 salariés, un accord majoritaire pourra opérer un « regroupement » des trois institutions, avec les mêmes dérives possibles. Au passage, le gouvernement, qui ne jure que par le « dialogue social », diminue sa fréquence : la périodicité des réunions entre élus du personnel et direction passe d'une fois par mois aujourd'hui, à une fois tous les deux mois.
 
Les questions d'hygiène et sécurité devront être évoquées au moins une fois par trimestre, ce qui correspond au rythme actuel de réunions du CHSCT. La question sensible du nombre d'élus et d'heures de délégation en fonction de la taille des entreprises est renvoyée à des décrets.
 
« On peut casser le thermomètre, ça n'empêchera pas la fièvre de monter »
Alain Alphon-Layre, en charge de la santé au travail à la CGT. « La délégation unique du personnel (DUP), qui regroupait jusqu'ici les délégués du personnel et le CE dans les entreprises de moins de 200 salariés, sera étendue à celles de moins de 300 salariés. Au lieu d'être désignés, les salariés siégeant au CHSCT seront donc élus. Mais on peut considérer qu'il y a aura moins de réunions annuelles pour traiter des dangers et des conditions de travail.
 
On est dans un contexte économique européen où l'on parle de donner la priorité à l'emploi, sans se préoccuper de la manière dont on travaille. Or, les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. On peut casser le thermomètre, mais ça n'empêchera pas la fièvre de monter. La CGT jouera son rôle auprès des parlementaires pour faire infléchir la loi et remettre le travail au centre du débat. »
 
 

- 2 - Une rationalisation tous azimuts

Difficile de résumer l'ensemble des mesures de simplification des institutions représentatives du personnel contenues dans le projet, qui revisite l'ensemble de leur fonctionnement. Les dix-sept thèmes actuels sur lesquels un employeur doit consulter le comité d'entreprise chaque année sont fondus en trois gros blocs de consultation annuels, sur les orientations stratégiques, la situation financière et économique, enfin la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi.
 
Une rationalisation qui permettra peut-être de clarifier l'agenda, mais qui crée des fourretout indigestes faisant reculer la pertinence des échanges et des avis rendus. En cas de projet de réorganisation, le texte renforce la centralisation des consultations, auprès d'instances les plus éloignées du terrain.
 
Le comité central d'entreprise serait consulté sur le projet, les comités d'établissement ne l'étant plus que sur les mesures d'adaptation locales. De même, l'instance nationale de coordination des CHSCT, une innovation issue de l'ANI de 2013, serait la seule à même de commander une expertise et à être consultée, les CHSCT locaux ne l'étant que sur des mesures spécifiques à leur périmètre local. Ce désaisissement des élus de terrain diminue les possibilités de mobilisation des salariés.
 
« L'information et la consultation devraient être permanentes »Julien Gonthier, membre du secrétariat de l'Union syndicale Solidaires. « L'idée de regrouper toutes les obligations d'information-consultation du comité d'entreprise en trois grandes procédures annuelles émane directement du patronat.
 
Au mieux, c'est une incompréhension totale de la vie dans les entreprises. Au pire, c'est une attaque frontale contre les droits des travailleurs! Cela met à mal une prérogative essentielle des CE, la veille économique. Pour les élus du personnel, il est essentiel de disposer d'informations économiques en continu. L'information et la consultation devraient être permanentes pour permettre aux salariés d'exercer leurs droits.
 
Là, on nous présente un projet qui consiste à déconnecter les procédures d'information et de consultation des moments et des terrains où les choses se jouent. On remplace des obligations importantes par du pur formalisme. »
 
 

- 3 - La négociation échappe aux syndicats

Les modalités de négociation dans l'entreprise passent, elles aussi, à la moulinette de la simplification. Les thèmes de négociations obligatoires sont fondus en trois grands chapitres (salaire et temps de travail, qualité de vie au travail, gestion des emplois et des parcours professionnels) qui gardent la même périodicité qu'aujourd'hui. Mais un accord majoritaire pourra espacer ces discussions : les négociations annuelles pourront devenir trisannuelles, les trisannuelles pourront passer à un rythme quinquennal.
 
Et surtout, le texte met fin au monopole syndical de négociation, en ouvrant la possibilité aux employeurs de négocier un accord d'entreprise avec un élu du personnel, quand il n'y a pas de délégué syndical. Cette possibilité existe déjà, mais dans des cas marginaux. Elle serait élargie à toutes les entreprises, et l'accord ainsi conclu ne serait plus validé par une commission paritaire de branche. Les employeurs auront les coudées franches pour obtenir des accords au rabais avec des interlocuteurs choisis, échappant au contrôle des syndicats et des branches, et même du comité d'entreprise lui-même, qui ne sera plus consulté.
 
Une perspective d'autant plus inquiétante que les réformes successives donnent toujours plus de possibilités aux accords d'entreprise de déroger au Code du travail.
 
« Un vrai contournement des syndicats » Marie-Alice Medeuf Andrieu, secrétaire confédérale de FO
 
« La possibilité de transformer les négociations annuelles en négociations trisannuelles est une vraie victoire pour le patronat. Les années sans négociation, les entreprises pourront voir leurs bénéfices progresser sans avoir à redistribuer aux salariés, qui perdront en pouvoir d'achat. En donnant la possibilité à des salariés non mandatés de négocier dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, le gouvernement effectue un vrai contournement des syndicats. Avec ce signal que les représentants syndicaux ne sont pas indispensables, nous allons assister à une vraie fragilisation des syndicats et ainsi à un affaiblissement de la capacité des salariés à être défendus correctement. Ce qui va une nouvelle fois renforcer le pouvoir du patronat. »
 
 

- 4 - Une représentation dans les TPE, mais en service minimum

C'est la « grande » avancée du texte, mais elle peinera à compenser le reste! Les salariés des très petites entreprises (TPE, moins de dix salariés) accèdent enfin à une possibilité de représentation, avec la création de « commissions régionales paritaires interprofessionnelles » composées chacune de vingt membres. Elles pourront donner aux salariés et aux employeurs des « conseils utiles » sur la législation ou les conventions collectives applicables, elles pourront débattre des problématiques de salaires, emploi, formation, etc.
 
Mais le niveau régional n'en fait pas une instance de proximité, et surtout ses membres « n'ont pas accès aux entreprises », stipule le texte, ce qui empêche toute intervention ou appui réel aux salariés. L'autre avancée du texte consiste à « valoriser » les parcours des représentants du personnel, mais là encore le progrès reste modeste. Alors que la discrimination syndicale sous toutes ses formes est prégnante dans les entreprises, la seule mesure concrète est de faire bénéficier certains délégués de la moyenne des augmentations individuelles des collègues de la même catégorie.
 
« Si on veut aider le dialogue social dans l'entreprise, il faut pouvoir s'en approcher »Philippe Antoine, conseiller conférédal CGT en charge des TPE « Nous sommes très loin de ce que voulait la CGT. Nous voulions des commissions paritaires départementales, c'est-à-dire de proximité, pour l'ensemble de ces salariés et avec des moyens correspondants. Nous voilà avec treize commissions régionales interprofessionnelles qui s'occuperont de secteurs non couverts par un accord (qui existent dans l'artisanat, les professions libérales et l'agriculture ­ NDLR), donc de 2,6 millions de salariés : c'est impossible !
 
Et chaque représentant élu à la commission n'aura droit qu'à cinq heures par mois en plus des heures de réunion! Leur mission sera de donner des informations et du conseil aux salariés et aux employeurs mais sans pouvoir entrer dans l'entreprise. Si on veut aider le dialogue social dans l'entreprise, il faudrait pouvoir s'en approcher. De plus, on ne leur a pas confié les activités sociales, contrairement aux commissions paritaires dans l'artisanat. Enfin, aucun financement spécifique ne leur a été dédié. »
 
 

- Renforcer la négociation aux dépens de la Loi

La casse du Code du travail continue. Le premier ministre Manuel Valls a confié le 1er avril à l'ancien directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, une réflexion « pour élargir la place de l'accord collectif dans notre droit du travail et la construction de normes sociales ». En clair, comment permettre aux branches et surtout aux entreprises de créer leurs propres règles, aux dépens d'une législation protectrice commune à l'ensemble des salariés. Le gouvernement veut donc renforcer une tendance à l'oeuvre depuis le début des années 1980, et qui explique, paradoxalement, la prise de poids du Code du travail qui recense les possibilités de dérogation à la loi.
 
Pour en savoir plus :

- Dialogue social : le mythe de la simplification créatrice d’emplois

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9 avril 2015 4 09 /04 /avril /2015 08:09
L’asservissement par la dette : « la plupart des américains sont des esclaves et ils l’ignorent »

Sources :  Arrêt sur Info Michael Snyder Traduction Guillaume Borel

- La plupart des américains passent leur vie à travailler pour d’autres, à rembourser leurs dettes à d’autres personnes et à exécuter des tâches que d’autres leurs ont confié.

Nous n’aimons pas nous considérer comme des serviteurs ou des esclaves, mais c’est ce que la vaste majorité d’entre nous est. Le mécanisme de notre aliénation est juste devenu plus complexe avec le temps. L’emprunteur devient de fait le serviteur de son créancier et la plupart d’entre nous entrent dans la spirale de la dette très tôt dans la vie adulte. En fait, ceux qui font des études supérieures pour « recevoir une éducation » vont probablement entrer dans la vie active avec une quantité phénoménale de dette. Et il ne s’agit là que du commencement du processus d’accumulation de la dette. Aujourd’hui, si vous additionnez les prêts hypothécaires, les prêts à la consommation et les prêts étudiants, les ménages américains ont une dette moyenne de 203163$. Les ménages cumulent une dette totale supérieure à 11 billions de dollars. Et alors que la plupart des américains ne le réalisent pas, la somme totale que nous aurons remboursé à la fin de notre vie sera bien plus importante que celle que nous avons emprunté. En fait, lorsque vous avez recours au crédit à la consommation, vous pouvez facilement au final avoir remboursé plusieurs fois la somme que vous avez emprunté. [NDT : du fait du paiement des intérêts]

 

Nous nous tuons donc au travail pour payer toute cette dette, et la vaste majorité d’entre nous ne travaille pas dans son propre intérêt. A l’inverse, notre travail rend les entreprises possédées par d’autres personnes plus rentables. Alors, si nous gaspillons les meilleures années de notre vie à réaliser du profit pour le compte d’autrui, que fait de nous le service de la dette que nous devons à d’autres et qui les enrichit ?

 

Les termes de serviteur et d’esclave ont aujourd’hui une connotation très négative et on les utilise rarement.

 

A la place, nous utilisons le mot « employé » qui nous renvoie une meilleure image de nous-même.

 

 

- Mais y a t-il une telle différence en réalité ?

Voici la définition que Google donne du mot « serviteur » :

« Une personne qui exécute des tâches pour le compte d’autrui, particulièrement une personne employée à domicile pour des tâches domestiques ou comme servant. »

 

Voici comment Google définit le mot « esclave » :

« Une personne qui est la propriété légale d’autrui et forcée de lui obéir. »

 

Et voici la définition de Google pour « employé » :

« Une personne employée en échange d’un salaire ou d’un traitement, particulièrement à un niveau non-exécutif »

 

La plupart d’entre nous n’est pas la « propriété légale » d’une autre personne au sens littéral, mais dans un sens plus large nous devons tous répondre aux ordres de quelqu’un.

 

Il y a toujours quelqu’un à qui nous devons obéir.

 

Et nous avons tous des obligations que nous devons honorer sous peine d’en affronter les conséquences.

 

Sur ce point, les américains sont aujourd’hui plus dépendants que jamais vis à vis du système. Le nombre des petites entreprises indépendantes est tombé à un plus bas historique et le pourcentage d’américains travaillant à leur compte est tombé à un niveau sans précédent ces dernières années. Dés le plus jeune âge nous sommes conditionnés pour travailler dur de manière à avoir un « bon travail » et être des rouages efficaces du système.

 

 

- Mais est-ce là tout le sens de la vie ? Etre le rouage efficient d’un système qui profite à d’autres ?

Peut-être pensez-vous que rien de ceci ne s’applique à votre cas personnel. Mais si quelqu’un vous demande ce que vous possédez réellement, qu’allez-vous lui répondre ?

 

Etes-vous le propriétaire de votre véhicule ? La plupart des américains ne le sont pas.

Aujourd’hui le montant moyen des prêts pour l’acquisition d’un véhicule est de 27000$ et beaucoup d’entre eux ont une durée de six ou sept ans.

Et qu’en est-il de votre maison ? En êtes vous vraiment propriétaire ?

Ce n’est pas le cas non plus pour la plupart des américains.

 

En fait les banques sont bien davantage les propriétaires de nos maisons et de nos propriétés que nous.

 

Mais, même dans le cas où vous avez intégralement remboursé le prêt de votre maison, cela signifie t-il que vous en êtes vraiment propriétaire ?

Pas forcément si vous considérez ce qui peut vous arriver si vous ne payez pas vos taxes de propriété.

S’ils peuvent effectivement saisir votre bien en cas de non paiement des taxes de propriété, le possédez-vous vraiment ?

Cela mérité réflexion.

 

 

- Et qu’en est-il de tous vos biens ? Les possédez-vous ?

Mais un grand pourcentage d’entre nous s’est placé dans les conditions de l’esclavage afin d’acquérir les biens matériels qui nous entourent. Aujourd’hui, le ménage américain moyen qui possède au moins une carte de crédit est endetté en moyenne de 15950$ en crédits à la consommation. Et si vous n’honorez pas vos traites, les sociétés de crédit vont lâcher leurs chiens à vos trousses.

 

Avez-vous déjà rencontré un spécialiste du recouvrement ?

Ils peuvent être très brutaux. Ils utilisent la brutalité comme méthode de travail. En fait ils sont si doués que les sociétés de recouvrement de créances sont en très bonne santé financière.

 

Le paragraphe suivant provient d’un article de CNN :

« Yachts. Hôtels particuliers. Dîners extravagants. La vie est belle pour les fondateurs d’une des plus importantes société de recouvrement de créances gouvernementales.La société,Linebarger Goggan Blair & Sampson, est chargée de recouvrer les créances d amendes de péage, de tickets de stationnement et les arriérés de ta.xes

Alors que les des contrats gouvernementaux qui les autorise à poursuivre les débiteurs pour lesettes sont au départ souvent minimes, la firme basée à Austin prélève des frais élevés qui peuvent augmenter la facture de centaines, voir de milliers de dollars.

Après avoir transformé une petite société juridique du Texas à la fin des années 70 en une firme centrale de recouvrement de la dette fédérale, les fondateurs et les cadres de direction brassent maintenant des millions de dollars.»

 

Et je n’ai pas encore mentionné le montant de notre dette collective. Nous avons volontairement choisi de nous asservir au niveau local, régional, et national.

 

Il est déjà assez triste que nous nous infligions cela à nous même, mais nous faisons de même avec les futures générations d’américains avec la plus grande montagne de dettes de l’histoire de la planète. Le paragraphe suivant est tiré de mon précédent article intitulé : « Barack Obama affirme que ce dont l’Amérique a réellement besoin c’est de beaucoup plus de dette »

« Lorsque Barack Obama a prêté serment, la dette nationale était de 10,6 billions de dollars. Aujourd’hui elle dépasse les 18 billions de dollars. Et avant même qu’on nous affirme que les déficits allaient être réduits, la dette nationale a augmenté de plus d’un billion de dollar lors de l’exercice fiscal 2014. Mais ce n’est pas assez pour Obama.Il a affirmé que nous devions sortir de cette période « d’austérité stupide » et voler de l’argent à nos enfants et nos petits enfants encore plus vite. De plus, Obama veut encore augmenter les taxes. Son budget prévoit 2 billions de dollars de revenus supplémentaires provenant de l’augmentation des taxes sur la prochaine décade. Il présente toujours cette hausse des taxes comme « des hausses d’impôts pour les riches » mais elles finissent toujours par toucher également la classe moyenne. Mais le fait que le congrès adopte ou non le nouveau budget d’Obama n’est pas le point le plus important. La réalité du problème c’est que les démocrates et les républicains sont également responsables de ce désastre. Les générations futures font d’ors et déjà face à la plus grande montagne de dettes de l’histoire et les deux partis veulent encore faire grimper cette montagne. Leur seul point de désaccord concerne la vitesse à laquelle cette montagne doit grandir. C’est une honte nationale, mais la plupart des américains en sont venus à trouver ça normal. Si nos enfants et nos petits-enfants en ont l’opportunité, ils nous maudiront pour ce que nous avons fait. »

 

Alors pouvons-vous vraiment nous qualifier de « patrie des braves et terre de la liberté » ?

N’est-ce pas la vérité que la majorité d’entre nous est aujourd’hui profondément asservie ?

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  • Pour une Révolution citoyenne par les urnes
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT  de 1978 à 2022.
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT de 1978 à 2022.

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