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13 juin 2016 1 13 /06 /juin /2016 08:16
Août 1945 : Hiroshima, pourquoi ?

Hiroshima a changé le monde, mais n’a pas mis fin à la Seconde Guerre mondiale ; c’est l’entrée en guerre de l’Union soviétique qui l’a fait.

 

Source :  Le Grand Soir le 05 juin 2016 par Oliver STONE, Peter KUZNICK[1] modifié le 6 août 2020

La visite du président Obama à Hiroshima le 27 mai dernier a ravivé le débat public sur les bombardements atomiques américains du Japon – débat en grande partie occulté depuis que le Smithsonian Institute a annulé son exposition sur l’Enola Gay en 1995. Obama, conscient que les critiques sont prêtes à fuser s’il jette le moindre doute sur la rectitude de la décision du président Harry S. Truman d’utiliser des bombes atomiques, a choisi de garder le silence sur la question. C’est malheureux. Un inventaire national est largement dû.

 

La plupart des Etasuniensont appris que l’utilisation de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, fut justifiée parce que les bombardements ont terminé la guerre dans le Pacifique, évitant ainsi une coûteuse invasion étasunienne du Japon. Cette affirmation erronée est issue des manuels d’histoire du secondaire encore aujourd’hui[2]. Plus dangereusement, elle façonne la pensée des responsables gouvernementaux et des planificateurs militaires qui travaillent dans un monde qui possède encore plus de 15 000 armes nucléaires.

 

 

- Truman exultait à propos de la destruction d’Hiroshima, la qualifiant de « plus grande chose dans l’histoire ».

Les chefs militaires étasuniens ne partageaient pas son exubérance. Sept des huit officiers cinq étoiles de l’Amérique en 1945 – les généraux Dwight Eisenhower, Douglas MacArthur et Henry Arnold, ainsi que les amiraux William Leahy, Chester Nimitz, Ernest King et William Halsey – ont par la suite dénoncé les bombardements atomiques, affirmant qu’ils étaient soit militairement inutiles, soit moralement répréhensibles, ou les deux. Les bombes n’ont pas non plus réussi dans leur objectif accessoire : intimider les Soviétiques.

 

Leahy, qui était le chef d’état major de Truman, a écrit dans ses mémoires que les « Japonais étaient déjà vaincus et prêts à se rendre [...] L’utilisation de cette arme barbare à Hiroshima et à Nagasaki n’était d’aucune aide matérielle dans notre guerre contre le Japon ». MacArthur est allé plus loin. Il a dit à l’ancien président Hoover que si les États-Unis avaient assuré aux Japonais qu’ils pourraient garder l’empereur, ils auraient volontiers cédé à la fin mai.

 

 

- Ce ne fut pas l’annihilation atomique d’Hiroshima et de Nagasaki qui mit fin à la guerre du Pacifique.

Au lieu de cela, c’est l’invasion soviétique de la Mandchourie et d’autres colonies japonaises, qui commença à minuit le 8 août 1945 – entre les deux bombardements atomiques.

 

Pendant des mois, les services de renseignement alliés avaient rapporté que l’invasion soviétique allait terrasser le Japon. Le 11 avril, par exemple, l’état-major interarmes réuni avait prédit : « Si à un moment l’URSS devait entrer dans la guerre, tous les Japonais se rendraient compte que la défaite absolue est inévitable. »

 

Les Etasuniens, ayant brisé les codes secrets japonais, étaient au courant du désespoir fébrile du Japon de négocier la paix avec les États-Unis, avant que les soviétiques ne les envahissent. Truman lui-même décrit un câble japonais intercepté le 18 juillet 1945, comme le « télégramme de l’empereur jap demandant la paix ». En effet, Truman se rendit au sommet de la mi-juillet à Potsdam, pour s’assurer que les Soviétiques tiendraient leur promesse, faite à la conférence de Yalta, d’entrer dans la guerre du Pacifique. Quand Staline lui en a donné l’assurance, le 17 juillet, Truman écrivit dans son journal : « Il sera dans la guerre jap le 15 août, les Japs seront foutus quand cela se produira. » Truman a réitéré dans une lettre à sa femme le lendemain : « Nous allons finir la guerre un an plus tôt maintenant, pense aux enfants [américains] qui ne seront pas tués. »

 

En défaisant rapidement le corps d’armée japonais Guandong, en Manchourie, les Soviétiques ont ruiné diplomatiquement et militairement la fin de partie prévue par les Japonais : continuer d’infliger des pertes militaires aux États-Unis et obtenir l’aide de Staline pour négocier avec les Américains de meilleures conditions de reddition.

 

 

- Les bombardements atomiques, aussi terribles et inhumains qu’ils aient été, ont joué peu de rôle dans les calculs des dirigeants japonais pour se rendre rapidement.

Août 1945 : Hiroshima, pourquoi ?

Après tout, les États-Unis avait incendié plus de cent villes japonaises. Hiroshima et Nagasaki n’étaient que deux villes détruites de plus ; que l’attaque nécessite une bombe ou des milliers n’a pas beaucoup d’importance. Comme le général Torashirō Kawabe, chef d’état-major adjoint, l’a dit plus tard aux interrogateurs des États-Unis, la profondeur de la dévastation à Hiroshima et Nagasaki ne fut connue que « d’une manière progressive ». Mais, a-t-il ajouté, « en comparaison, l’entrée soviétique dans la guerre a été un grand choc ».

 

Quand on a demandé au Premier ministre Kantaro Suzuki, le 10 août, pourquoi le Japon avait besoin de se rendre aussi rapidement, il expliqua : « L’Union soviétique aura non seulement la Mandchourie, la Corée, Karafuto, mais aussi Hokkaïdo. Cela détruirait le fondement du Japon. Nous devons mettre fin à la guerre, si nous pouvons traiter avec les États-Unis. » Les dirigeants japonais ont également craint la propagation des soulèvements communistes, d’inspiration soviétique, et savaient que ceux-ci ne verraient pas d’un bon œil leurs préoccupations primordiales – la protection de l’empereur lui-même et du système impérial.

 

 

- Truman comprenait les enjeux. Il savait que l’invasion soviétique mettrait fin à la guerre.

Il savait aussi qu’en rassurant le Japon à propos de l’empereur, cela conduirait à la reddition. Mais il a décidé d’employer les bombes atomiques de toute façon.

 

Pendant son séjour à Potsdam, Truman reçut un rapport détaillant la puissance de la bombe testée le 16 juillet à Alamogordo, au Nouveau Mexique. Après cela, il « était un autre homme », selon Winston Churchill. Il a commencé à jouer au boss avec Staline. Et il a autorisé l’utilisation de la bombe contre le Japon. Si sa nouvelle assurance à Potsdam n’avait pas montré à Staline qui était le patron, Truman a supposé que Hiroshima certainement le ferait.

 

 

- Staline a reçu le message.

Les bombes atomiques étaient maintenant un élément fondamental de l’arsenal américain, et non pas seulement un dernier recours. Il a ordonné aux scientifiques soviétiques de jeter tout ce qu’ils avaient dans le développement d’une bombe soviétique. La course était engagée. Finalement, les deux parties ont accumulé l’équivalent de 1,5 million de bombes d’Hiroshima. Et comme le physicien du Manhattan Project, Isidor Isaac Rabi, l’a astucieusement observé, « soudain, le jour du jugement dernier était le lendemain et depuis, c’est tous les jours comme ça. »

 

Note :

[1] Article original paru dans le Los Angeles Times, traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone

[2] et malheureusement pas eux seuls, c'est aussi la version officielle en France

 

Pour en savoir plus :

- Obama à Hiroshima : un hommage, pas des excuses

- Hiroshima sous les feux du révisionnisme

- 6 août 1945 : et si Hiroshima n'avait servi à rien ?

- 9 août 1945 : Après Hiroshima, bombe atomique sur Nagasaki... les véritables raisons

- Hiroshima Nagasaki : Deux bombes US pour la domination impérialiste du monde

- 75 ans après Hiroshima : comment l'histoire d'un crime de guerre a été réécrite

- 7 et 8 août 1945 En confrontant les archives japonaises, américaines et russes, l’historien américain Tsuyoshi Hasegawa démontre que « rien ne justifiait le recours à l’arme nucléaire »

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10 août 2015 1 10 /08 /août /2015 08:14
9 août 1945 : Après Hiroshima, bombe atomique sur Nagasaki... les véritables raisons

Effrayer les soviétiques, commencer la guerre froide... et transformer le japon d'agresseur[12] avec nombre de crimes de guerre [13].... en victime  !

 

IL y a exactement soixante dix ans, les 6 et 9 août 1945, les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki étaient littéralement « ramenées à l’âge de pierre » par l’explosion des premières - et seules - bombes atomiques jamais utilisées dans un conflit. L’emploi d’armes aussi barbares était devenu indispensable - dit-on alors officiellement - pour arrêter la guerre et épargner des centaines de milliers de vies.

Des documents récents démentent cependant cette thèse et révèlent que ces destructions, comme celle de Dresde le 13 février 1945, avaient pour objectif d’impressionner les Soviétiques, d’arrêter leur avance alors même que certains comme Patton[1] rêvaient d'en découdre, et marquaient, en fait, le début de la guerre froide.

 

Sources : Le Monde Diplomatique, par Frédéric F. Clairmont | mis à jour le 6 août 2020

- Le 7 mai 1945, le Japon impérial, n’était déjà plus que l’ombre de lui-même

Le 7 mai 1945, lorsque le maréchal Jodl signa l’acte de capitulation de l’Allemagne nazie, son allié, le Japon impérial, n’était déjà plus que l’ombre de lui-même : son arme d’élite d’autrefois, l’aviation, ne comprenait plus qu’un petit nombre d’adolescents désespérés mais prodigieusement courageux, et dont la plupart étaient assignés à des missions kamikazes ; il ne restait pratiquement plus rien de la marine marchande et de la marine de guerre. Les défenses antiaériennes s’étaient effondrées : entre le 9 mars et le 15 juin, les bombardiers B-29 américains avaient effectué plus de sept mille sorties en subissant seulement des pertes mimimes.

 

Le 10 mars précédent, plus de cent vingt-cinq mille personnes avaient été tuées ou blessées lors d’un bombardement sur Tokyo. Un événement, seulement dépassé dans l’horreur par les trois raids des aviations anglo-canadienne et américaine sur Dresde, dans la nuit du 13 au 14 février 1945. Pour le patron de l’US Air Force, le général Curtis Le May, il s’agissait de « ramener le Japon à l’âge de pierre », métaphore qu’il répéterait sans cesse les années suivantes pour décrire la liquidation physique de dizaines de milliers de Coréens par ses chefs d’escadrilles.

 

Le Japon avait parfaitement compris ce que signifiait la dénonciation par l’URSS du pacte de non-agression signé entre les deux pays, et il n’avait pas oublié la défaite que le maréchal Joukov avait infligée à ses armées à la veille de la seconde guerre mondiale. Alors, pourquoi ce lancement d’une attaque nucléaire sur Hiroshima le 6 août 1945 ? Et, même en admettant le bien-fondé de la « solution finale » imposée à cette ville, comment justifier la seconde démonstration de la capacité d’extermination effectuée trois jours plus tard à Nagasaki ?

 

Harry S Truman - NARA - 530677 (2).jpg Tout au long de sa présidence, Harry Truman affirma que les destructions d’Hiroshima et de Nagasaki avaient sauvé un quart de million de vies humaines[2], mais, après la fin de son mandat, il commença à jongler avec les chiffres. Les journalistes qui écrivirent les « Mémoires » du président citèrent, dans leur première version, le chiffre d’un demi-million de pertes (américaines et alliées), dont au moins trois cents mille morts. A la sortie du livre, en 1955, le total était passé à un demi-million de vies américaines sauvées et, en certaines occasions, Harry Truman alla jusqu’à parler d’un million[3].

 

Le chiffre mythique d’un demi-million avait bien pu apaiser la conscience de Truman ; mais, d’autres acteurs, non directement impliqués dans ce jeu, allaient l’utiliser à des fins beaucoup plus explicites. Winston Churchill avait ses propres raisons, liées aux perspectives de guerre froide, pour pratiquer l’escalade : Hiroshima et Nagasaki, selon lui, avaient sauvé un million deux cent mille. L’homologue britannique de Curtis Le May, le maréchal Sir Arthur Harris, surnommé bomber, confident de Churchill et exécutant de la destruction de Dresde, alla même jusqu’à parler de trois à six millions de pertes évitées[4].

 

 

- Les doutes du général Eisenhower Eisenhower, Dwight D.

TOUS les chercheurs sérieux savaient que les chiffres de Truman étaient fantaisistes, mais une étude des services secrets américains, découverte en 1988 dans les archives nationales des Etats-Unis, en apporte la confirmation[5]. Ce document est certainement l’une des évaluations les plus étonnantes qui soient parues après la fin de la guerre. On y découvre que l’invasion de la principale île de l’archipel japonais, Honshu, avait été jugée superflue. L’empereur, observe le rapport, avait décidé, dès le 20 juin 1945, de cesser les hostilités. A partir du 11 juillet, des tentatives pour négocier la paix avaient été effectuées par le biais de messages à Sato, ambassadeur japonais en Union soviétique. Le 12 juillet, le prince Konoye avait été désigné comme émissaire pour demander à Moscou d’utiliser ses bons offices afin de mettre un terme à la guerre.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Le rapport secret conclut explicitement que c’est la décision de l’Union soviétique, prise le 8 août, d’envahir la Mandchourie occupée par les Japonais, et non pas les bombardements d’Hiroshima (6 août) et de Nagasaki (9 août), qui constitua le facteur décisif menant à la fin des hostilités : « Les recherches montrent que [au sein du cabinet japonais] il fut peu question de l’usage de la bombe atomique par les Etats-Unis lors des discussions menant à la décision d’arrêter les combats [15 août 1945]. Le lancement de la bombe fut le prétexte invoqué par tous les dirigeants, mais la chaîne des événements mentionnés plus haut donne à penser, de manière quasi certaine, que les Japonais auraient capitulé après l’entrée en guerre de l’URSS. » La lecture des événements du 6 et du 9 août doit donc moins se faire en termes de fin des hostilités en Asie et dans le Pacifique qu’en termes de début de la guerre froide.

 

James F. Byrnes cph.3c32232.jpgLe secrétaire d’Etat James Byrnes - qui, au Sénat, avait été le mentor de Truman avant que ce dernier n’accède à la présidence après la mort de Roosevelt le 12 avril 1945 - ne le cachait d’ailleurs pas. Leo Szilard, qui l’avait rencontré le 28 mai rapporte ainsi que « Byrnes ne prétendait pas qu’il était nécessaire d’utiliser la bombe contre les villes japonaises pour gagner la guerre. Son idée était que la possession et l’usage de la bombe rendraient la Russie plus contrôlable ». Le mot-clé n’est ni « compromis » ni « négociation » mais « contrôlable ». Ce que Truman confirma lui-même : « Byrnes m’avait déjà dit [en avril 1945] qu’à son avis la bombe nous permettrait de dicter nos conditions à la fin de la guerre. »

 

La solution finale d’Hiroshima et de Nagasaki servit donc de prélude et de prétexte à un déploiement mondial de la puissance économique et diplomatique américaine. Après l’explosion, couronnée de succès, de la première bombe atomique, le 16 juillet 1945, dans les sables du désert du Nouveau-Mexique, Truman avait décidé d’exclure l’URSS de tout rôle significatif dans l’occupation et le contrôle du Japon. Le même personnage, alors sénateur, répondant à Roosevelt qui plaidait pour un prêt-bail à une URSS en proie aux pires difficultés, s’était exclamé : « Si nous voyons que l’Allemagne est en train de gagner la guerre, il faudrait que nous aidions la Russie, et si la Russie est sur le point de l’emporter, il faudrait que nous aidions l’Allemagne, pour qu’ils s’entretuent le plus possible. »

 

L’arme d’extermination massive ne fit pas l’unanimité au sein du petit noyau des décideurs. A son grand honneur, le général Dwight Eisenhower nota dans ses Mémoires, lorsqu’il fut informé de son usage imminent par le ministre de la guerre, Henry Stimson : « Je lui fis part de la gravité de mes doutes. D’abord sur la base de ma conviction que le Japon était déjà battu, et donc que l’utilisation de la bombe était complètement inutile. Ensuite, parce que je pensais que notre pays devait éviter de choquer l’opinion mondiale en utilisant une arme qui, à mon avis, n’était plus indispensable pour sauver des vies américaines. » De la même manière, le chef d’état-major, l’amiral William Leahy, un partisan du New Deal, écrivit : « Les Japonais étaient déjà battus et prêts à capituler. L’usage de cette arme barbare à Hiroshima et à Nagasaki n’a apporté aucune contribution matérielle à notre combat contre le Japon. » Les Etats-Unis, poursuivit-il, « en tant que premier pays à utiliser cette bombe ont adopté des normes éthiques semblables à celles des barbares du Haut Moyen Age »[6]. En revanche, lorsqu’il fut informé de l’holocauste de Nagasaki, en revenant de la conférence de Potsdam, à bord du croiseur Augusta, Truman fit part de sa jubilation au commandant du bâtiment : « C’est la plus grande chose de l’histoire. »

 

La revendication et la justification de cet holocauste par le trio Byrnes-Truman-Stimson, que les médias répercutèrent dans les heures et les semaines qui suivirent, furent extrêmement payantes. Un petit mensonge avait été métamorphosé avec succès en un gros mensonge qui allait être presque universellement accepté et rendu moralement acceptable à l’opinion américaine et aux autres. C’est encore largement le cas.

 

Pourtant, même aux pires moments de la guerre froide, à la fin des années 40, des voix s’élevèrent pour le remettre en cause. L’une des premières contributions d’envergure fut celle du physicien britannique Patrick M. Blackett, de l’université de Londres, qui écrivit que « la bombe fut la première opération d’importance dans la guerre froide diplomatique »[7]. Ce travail, et la publication, dans les années 50 et 60, de documents privés et d’archives américaines déclassées, constituèrent les bases de la monographie fondamentale de Gar Alperowitz[8].

 

18f01cd6481156ba05ae78b80adc13f0Churchill reçut la nouvelle de la destruction des deux villes japonaises avec joie, en la parant de justifications mensongères. Il faut dire que c’était lui en personne - et non pas Sir Arthur Harris, chef du Bomber Command (la flotte aérienne de bombardement britannique), transformé plus tard en bouc émissaire - qui donna l’ordre de détruire Dresde, ville sans défense et dépourvue d’objectifs militaires. Pour reprendre les propos de Harris : « L’attaque de Dresde[9] fut, à l’époque, considérée comme une nécessité militaire par des personnages plus importants que moi. » On compta plus de cent vingt mille victimes. Ce raid exterminatoire n’avait rien à voir avec une aide apportée à « nos braves alliés soviétiques » - pour reprendre la formule familière du temps de guerre - d’autant que leurs troupes n’étaient plus, ce jour-là, qu’à 130 kilomètres de l’ancienne capitale des rois de Saxe. Il s’agissait plutôt d’une démonstration de force à l’égard de cet allié.

 

Au premier coup d’oeil, les photographies aériennes prises par les Mosquito de la RAF montrèrent que la destruction de la ville de Dresde n’avait aucune justification militaire. C’est seulement après le raid que les équipages des bombardiers s’en rendirent compte. Dans la grande vision churchillienne, Dresde et Hiroshima n’étaient qu’un élément de la stratégie plus globale de la guerre froide en train de naître. On aura une idée de l’état d’esprit du premier ministre britannique à la lecture du journal de lord Alanbrooke à la date du 22 juillet 1945 : selon Churchill, « nous avions désormais entre les mains quelque chose qui rétablirait l’équilibre avec les Russes. Le secret de cet explosif et la capacité de l’utiliser modifieraient complètement l’équilibre diplomatique qui était à la dérive depuis la défaite de l’Allemagne ». Et lord Alanbrooke d’ajouter laconiquement : « Churchill se voyait déjà en mesure d’éliminer tous les centres industriels soviétiques et toutes les zones à forte concentration de population. Il s’était immédiatement peint une magnifique image de lui-même comme unique détenteur de ces bombes, capable de les lancer où il le voulait, donc devenu tout-puissant et en mesure de dicter ses volontés à Staline »[10].

 

WInston ChurchillLes années de guerre n’avaient pas changé la façon de voir de Churchill, mais seulement sa tactique et sa rhétorique. Profondément enracinée dans son esprit demeurait l’idée que « le bolchévisme n’est pas une politique, mais une maladie » . C’est pourquoi on n’aurait pu rêver d’un meilleur tandem que Truman et Churchill pour le développement stratégique de la guerre froide. Le soir du 10 février 1946, ils se réunirent à la Maison Blanche pour discuter du discours que l’homme au cigare allait prononcer, le 5 mai suivant, à Fulton dans le Missouri, et dans lequel il lancerait l’expression de « rideau de fer ». Non seulement ce manifeste de Fulton, qui formalisait le déclenchement de la guerre froide, fut couvert de louanges par Truman et son entourage, - particulièrement dans ses passages antisoviétiques où il préconisait une suprématie atomique américaine - mais on peut dire que ses ingrédients étaient une création anglo-américaine. Churchill discuta le contenu de son intervention en détail avec Truman le 10 février, avec Byrnes et le financier Bernard Baruch le 17[11].

 

La diplomatie atomique de Truman, désormais couplée avec la base économique massive de la puissance américaine, ne se cristallisa pas seulement dans la doctrine Truman mais aussi dans l’incontrôlable course aux armements qui en constitua la séquelle, ainsi que dans les guerres coloniales contre les peuples luttant pour leur indépendance.

 

Nul besoin de sanctifier les exterminations d’Hiroshima-Nagasaki (ou, à cet égard, de Dresde) et de les élever à la hauteur d’événements mystiques. Elles constituèrent la synthèse d’une situation où des décisions vitales sont prises par un tout petit groupe d’individus, disposant d’énormes pouvoirs et agissant sur la base de prémisses erronées. Mais, de ces tragédies, il nous faut tirer des enseignements, toujours aussi pertinents, quarante-cinq ans après : compte tenu de la formidable complexité des relations internationales et de la capacité d’annihilation des armes nucléaires, nous n’avons pas d’autre choix que ceux de la souplesse, du compromis et de la négociation.

 

Notes :

[1] Je prendrais Moscou en 5 jours, Général Patton ? : Le 7 mai 1945, juste avant la capitulation allemande, Patton eut une conférence en Autriche avec le Secrétaire américain à la Guerre Robert Patterson. Patton était très préoccupé par le manquement des Soviets à respecter les lignes de démarcation séparant les zones d'occupation soviétique et américaine. Il était aussi alarmé par les plans de Washington pour la démobilisation partielle immédiate de l'US Army.

«Je comprend la situation. Leur système [soviétique] de ravitaillement est inadéquat pour les soutenir dans une action sérieuse telle que je pourrais la déclencher contre eux. Ils ont des poulets dans des cages et du bétail sur pied. Voilà leur système de ravitaillement. Ils pourraient probablement tenir le coup pendant cinq jours dans le type de combat que je pourrais leur livrer. Après cela, les millions d'hommes qu'ils ont ne feraient aucune différence, et si vous vouliez Moscou je pourrais vous la donner. Ils ont vécu sur le pays depuis leur arrivée. Il ne reste pas assez pour les ravitailler pendant le retour. Ne leur donnez pas le temps de construire leur système de ravitaillement. Si nous le leur laissons, alors ... nous aurons battu et désarmé les Allemands, mais nous aurons échoué à libérer l'Europe; nous aurons perdu la guerre ! » ...Patton

- Va-t-en-guerre contre l'URSS, Patton signifie sa sympathie aux Allemands. Soucieux de ménager l'Allemagne pour se l'allier contre l'URSS, le commandement américain charge Patton de la région où se sont réfugiés la plupart des nazis : la Bavière (fief du feu-NSDAP) en Allemagne occupée où il installe son quartier général à Ratisbonne. Patton milite très activement en faveur du projet visant à attaquer l'Union Soviétique dans la foulée de la capitulation allemande. Ainsi il ne désarme pas des régiments allemands entiers, mis en réserve en vue de l'offensive souhaitée. Patton a parfaitement compris comme bon nombre de stratèges que le nouvel ennemi du monde occidental était l’URSS. La chute du régime nazi a été un objectif de circonstance alliant des régimes en réalité inconciliables. Patton voulait la guerre directe mais les dirigeants occidentaux ont opté pour la guerre dite froide, qui sera en réalité brulante et longue. Patton ne peut se retenir d’enchainer les déclarations fracassantes et les scandales s'accumulent sur sa personne. La position de Patton n'est plus tenable. Eisenhower soutient encore son général et envoie Robert Murphy mener son enquête en Bavière ; celui-ci découvre que 25 officiers nazis opèrent toujours en Bavière…Eisenhower ne croit plus pouvoir soutenir Patton, mais comme l'aura du Général reste grande, il le ménage : il lui retire le commandement de la Bavière, mais en contrepartie lui confie en octobre 1945 le contrôle de la 15e Armée (qui est une armée fictive, n'existant que sur le papier).

[2] Voir les archives publiques de la présidence Public Papers of the Presidents : Harry S. Truman, Government Printing Office, Washington DC, 1965.

[3] Harry S. Truman, Mémoires, Years of Decision, vol. 1, Doubleday, New-York, 1955.

[4]Dudley Saward, Bomber Harris : The Authorized Biography, Cassell, Londres, 1984.

[5] Voir The New York Times, 4 août 1989. L’étude, découverte dans un dossier du ministère de la guerre, sur « Les conversations américano-britanniques », avait été élaborée au début de 1946 par les spécialistes du renseignement de la division des opérations, qui constituait alors l’échelon suprême de la planification dans l’armée de terre.

[6] William D. Leahy, I Was There, McGraw Hill, New-York, 1956.

[7] Patrick M. Blackett, Fear, War and the Bomb : Military and Political Consequences of Atomic Energy, Turnstile Press, Londres, 1948.

(8) Gar Alperowitz, Atomic Diplomacy : Hiroshima and Potsdam : The Use of the Atomic Bomb and the American Confrontation with the Soviet Power, Secker and Warburg, Londres, 1965.

[9] Pourquoi Dresde fut-elle détruite les 13-14 Février 1945 ?

[10] Gar Alperowitz, Atomic Diplomacy : Hiroshima and Potsdam : The Use of the Atomic Bomb and the American Confrontation with the Soviet Power, Secker and Warburg, Londres, 1965.Ibid.

[11] Voir Fraser Harbutt, The Iron Curtain : Churchill, America and the Origins of the Cold War, Oxford University Press, 1986.

[12] Les Chinois eurent beaucoup plus de pertes, avec 3 229 000 soldats et au moins 9 000 000 de civils sans compter les destructions. Sur les centaines de milliers de soldats chinois faits prisonniers par l’armée shōwa au cours de la guerre, seulement 68 furent relâchés vivants en 1945. Quant aux civils, les travaux publiés en 2002 par un comité conjoints d'historiens réunissant Mitsuyoshi Himeta, Zhifen Ju, Toru Kubo et Mark Peattie démontrent que plus de 10 millions d’entre eux furent enrôlés de force par la Kōa-in (Agence impériale de développement de l'Asie orientale) pour des travaux dans les mines et les usines du Mandchoukouo.

De nos jours, le chiffre du nombre des victimes Chinoises mortes durant le conflit, entre 1937 et 1945, est revu à la hausse, avec les chiffres souvent avancés, de plus de 20 millions de morts au total, chiffres sensiblement différents de ceux avancés dans les années 1980. Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_sino-japonaise_%281937-1945%29

[13] Les historiens et les gouvernements de nombreux pays ont considéré les militaires de l’Empire du Japon, à savoir l’Armée impériale japonaise et la Marine impériale japonaise, comme les responsables des tueries et autres crimes commis à l’encontre de plusieurs millions de civils ou de prisonniers de guerre (PG) au cours de la première moitié du XXe siècle. Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Crimes_de_guerre_du_Japon_Sh%C5%8Dwa

 

Pour en savoir plus :

- Août 1945 : Hiroshima, pourquoi ?

- 75 ans après Hiroshima : comment l'histoire d'un crime de guerre a été réécrite

- 7 et 8 août 1945 En confrontant les archives japonaises, américaines et russes, l’historien américain Tsuyoshi Hasegawa démontre que « rien ne justifiait le recours à l’arme nucléaire »

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  • Pour une Révolution citoyenne par les urnes
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT  de 1978 à 2022.
  • Retraité SNCF, engagé politiquement depuis l'âge de 15 ans, militant du PCF de 1971 à 2008, adhérent au Parti de Gauche et à la France Insoumise depuis leur création, ex secrétaire de syndicat, d'Union locale et conseiller Prud'homme CGT de 1978 à 2022.

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🔴  et aussi : Observatoire national pour « mettre sous surveillance » l’extrême droite

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